Présentation
Référence bibliographique :
WEBER Max, 1919, Le savant et le politique, Paris, éd. 10/18.
Dans la retranscription de ces deux conférences (« Le métier de savant » et « Le métier de politique »), l’historien et sociologue allemand Max Weber dicte les lignes de conduite de ces deux professions, bien distinctes mais toutes deux complémentaires et nécessaires au maintien et à la grandeur d'un État. Quelles doivent être les qualités d'un savant, d'un chercheur et d'un enseignant ? Qu'est-ce qu'un homme politique ? Quelle est sa nature et celle de l'entité à laquelle il est à la tête ? Certes, les deux concepts sont bien différenciés par Max Weber : l'homme politique, « le prophète et le démagogue n’ont pas leur place dans une chaire universitaire. » (p.103) Toutefois, les deux posent des questions fondamentales et ont donc des rôles cruciaux pour l'avenir d'une société : « Quel est alors dans ces conditions le sens de la science ? » (p.97) ; « Qu'entendons-nous par politique ? » (p.123) C'est donc dans une optique de compréhension aussi bien sociologique que historique de ces deux domaines que cet ouvrage s'inscrit.
Mots-clés : Science, savoir, enseignement, neutralité, jugements de valeurs, homme politique, légitimité, domination, État, professionnels de la politique
Max Weber (1864-1920) est un fils de député protestant allemand. Il côtoie dès son enfance à la fois des intellectuels et des hommes politiques. Il fait des études de droit et, en parallèle, il s’intéresse considérablement à la question sociale et politique. En 1908, il participe à la création avec Tonnies et Simmel de l’Association Allemande de Sociologie. Historien, sociologue et politologue, il a légué à la postérité une œuvre considérable concernant à la fois la méthode sociologique comme l'histoire du capitalisme. Parmi ses grandes œuvres, on peut citer : Le Savant et le Politique (1919), L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme (1904-1905), Economie et societe (posthume 1921).
L'ensemble des deux textes, « Le métier et la vocation de savant » (Wissenschaft als Beruf) et « Le métier et la vocation d'homme politique » (Politik als Beruf) forment un ouvrage de 152 pages. Weber rédige ces deux textes pour deux conférences respectivement en 1917 et 1919 tenues devant l’Université de Munich. Il base ses travaux sur ses positions sociologiques, notamment en ce qui concerne la neutralité de l'enseignant dans « le savant » et sur des travaux et données historiques dans « le politique ».
Le savant et le politique s'inscrit dans un contexte de bouleversement pour l'Allemagne : en 1917 elle est engagée dans une guerre totale et en 1919, vaincue, elle doit subvenir très difficilement aux conséquences de ses guerres tout en devant faire face aux exigences des alliés. Weber, sans pour autant légitimer et justifier la montée des idéologies totalitaires, travaille et sert la grandeur de l'Allemagne, grandeur que la République de Weimar, dont il a participé à l'élaboration, a du mal à faire renaître.
Comme dit précédemment, les deux concepts, le savant et le politique sont complémentaires, c'est pourquoi ils ont été regroupés. Toutefois, ils sont bien distincts : l'un et l'autre ayant chacun leurs terrains et champs propres. C'est pourquoi, nous étudierons les grandes idées et les lignes directrices de cet ouvrage en séparant les deux conférences.
« Le métier et la vocation de savant » (Wissenschaft als Beruf - 1917)
Dans une première partie, Weber parle de « désenchantement du monde ». D'après lui, le monde, grâce à la science et à la raison de plus en plus sollicitées, est expliquée de façon rationnelle, lui ôtant ainsi toute forme de magie inexplicable que pouvait lui donner la religion par exemple. Ce phénomène est qualifié par Weber « d'intellectualisation. » Ce processus nous permet de « nous prouver qu’il n’existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie : bref, que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. » (p.90) Certes, les sciences semblent nous expliquer le « comment », mais selon Weber, elles restent muettes sur le « pourquoi ». Quel est donc le sens de notre vie ? Telle est la question, la seule peut-être, à laquelle les sciences ne répondent pas. Une société désenchantée est donc une société qui ne sait pas réellement où elle va : « L’homme civilisé au contraire, placé dans le mouvement d’une civilisation qui s’enrichit continuellement de pensées, de savoirs et de problèmes, peut se sentir « las » de la vie et non pas comblé par elle. » (p.91) Weber aborde ici la notion de progrès et d'enrichissement. Tel est l'un des fondements des sociétés civilisés, dont les individus ne peuvent par conséquent, ne peuvent jamais être comblés. Il rapproche cela du domaine scientifique : « Dieu est caché, ses voies ne sont pas nos voies, ses pensées ne sont pas nos pensées. Mais on espérait découvrir les traces de ses intentions dans la nature par l’intermédiaire des sciences exactes qui nous permettraient d’appréhender physiquement ses œuvres. Et aujourd’hui ? » (p. 96)
L'une des qualité, si ce n'est la qualité centrale et la condition sine qua non de ce métier, est la neutralité, l'absence de jugements de valeurs : « Chaque fois qu’un homme de science fait intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus compréhension intégrale des faits. » (p. 104)
L'enseignant, la figure du savant qui transmet le savoir, ne doit en aucun cas abuser de son statut de délivreur unique du savoir face à un auditoire encore immature pour faire aller cet auditoire dans telle ou telle direction. Ce n'est pas son rôle, qui doit se cantonner à celui d'enseigner en toute objectivité. Le scientifique doit pour cela se détacher de ses valeurs personnelles. « Le prophète et le démagogue n’ont pas leur place dans une chaire universitaire. Il est dit au prophète, aussi bien qu’au démagogue : ''va dans la rue et parle en public'', ce qui veut dire, là où l’on peut te critiquer. » (p.103)
Le métier et la vocation d'homme politique (Politik als Beruf - 1919)
Une fois ces bases jetées, Weber définit ensuite le métier d'homme politique. Tout individu souhaitant se lancer dans le monde de la politique aspire au pouvoir et à la domination des autres Hommes. Le pouvoir réside dans l'usage de la force physique, fait d’imposer sa volonté par la force, par la violence physique, alors que la domination est une position reconnue comme légitime, c'est la manière d’imposer sa volonté, de se faire obéir mais uniquement lorsque cette obéissance est acceptée. Weber distingue ensuite trois idéaux-types, trois modèles, de domination : rationnel-légale (président), traditionnelle (prêtre) et charismatique (Bonaparte, Jésus).
L'homme politique doit être dévoué à une cause, avoir le sens des responsabilités. C'est bien par un approfondissement de ce concept que Weber conclut après avoir proposé une analyse historique de l'avènement des hommes politiques professionnels et l'apparition des partis.
« Toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s'orienter selon l'éthique de responsabilité ou selon l'éthique de la conviction. » (p.206) L'éthique de la conviction pousse l'homme moral à agir de manière parfois irrationnelle alors que l'éthique de la responsabilité est celle de l'homme qui prend en compte les conséquences prévisibles de ses actes. Weber montre que l'éthique de la conviction seule ne suffit pas à l'action politique car elle ne prend pas en compte les conséquences de cette action (p. 205) et surtout parce qu'elle justifie les moyens employés, quel qu'ils soient, par la fin recherchée
Critiques
Le Savant et le politique est un livre remarquable : définir sociologiquement et historiquement autant de concepts fondamentaux, de manière aussi précise, aussi claire tout en ayant toujours une résonance actuelle relève d'un défi considérable. Le métier de professeur de Max Weber se retrouve dans sa plume : il guide précisément son auditoire et ses lecteurs, il répète, il illustre et reformule ne faisant qu'illustrer son propos : « La tâche primordiale d'un professeur capable est d'apprendre à ses élèves à reconnaître qu'il y a des faits inconfortables. » (p.105) et à se forger une opinion juste, en toute connaissances de causes.
Citations
« Abraham ou les paysans d’autrefois sont morts ''vieux et comblés par la vie'' parce qu’ils étaient installés dans le cycle organique de la vie, parce que celle-ci leur avait apporté au déclin de leurs jours tout le sens qu’elle pouvait leur offrir et parce qu’il ne subsistait aucune énigme qu’ils auraient encore voulu résoudre. Ils pouvaient donc se dire « satisfaits » de la vie. L’homme civilisé au contraire, placé dans le mouvement d’une civilisation qui s’enrichit continuellement de pensées, de savoirs et de problèmes, peut se sentir « las » de la vie et non pas comblé par elle. En effet il ne peut jamais saisir qu’une infime partie de toute ce que la vie de l’esprit produit sans cesse de nouveau, il ne peut saisir que du provisoire et jamais du définitif. C’est pourquoi, la mort est à ses yeux un évènement qui n’a pas de sens. Et parce que la mort n’a pas de sens, la vie du civilisé comme telle n’en a pas non plus, puisque du fait de sa « progressivité » dénuée de signification elle fait également de la vie un évènement sans signification. » (p. 91)
« [La science] n’a pas de sens puisqu’elle n’apporte aucune réponse à la question qui nous importe : que devons-nous faire ? Comment devons-nous vivre ? De fait, il est incontestable qu’elle ne nous apporte pas la réponse. » (p. 97)
« Mais ce [la politique] n'est pas un chemin pour tout le monde. Surtout pas pour les caractères faibles et moins encore pour les êtres qui ne sont capables de se réaliser que dans une situation sociale sans embûches. » (p.163)
« Qu'est-ce qu'un boss ? C'est un entrepreneur politique capitaliste, pourvoyeur de voies électorales pour son profit et à ses risques et périls. » (p.183)
« L e professional (c'est ainsi qu'on l'appelle) est certes méprisé par la ''bonne société''. Il ne recherche exclusivement que le pouvoir soit comme source d'argent, soit aussi pour lui-même. » (p.184)
« C'est un ennemi bien vulgaire, trop humain, que l'homme politique doit vaincre chaque jour et chaque heure : la très ordinaire vanité. Elle est l'ennemi mortel de tout dévouement à une cause et de tout détachement. » (p.197)
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