Introduction
La Yougoslavie que crée Tito est la concrétisation d'un rêve du XXe siècle d’intellectuels européens voulant réunir dans un unique État tous les slaves du sud, les « yougoslaves ». Cet État inclurait tous les peuples yougoslaves, bulgares, croates, macédoniens, monténégrins, serbes et slovènes, afin de faire contrepoids à la puissance menaçante de l'Empire Ottoman.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le 1er décembre 1918, le Royaume des serbes, des croates et des slovènes est créé. Sur le papier, ce royaume était plein d'ambition et permettait la paix, la cohabitation et l'unité face aux autres pays de la région. Cependant, le gouvernement donne la part belle aux serbes au détriment des autres peuples. L'hégémonie et la prédominance des serbes met à mal la jeune monarchie. En effet, les peuples que les traités de paix tentent de faire coexister n'ont pas la même culture, la même langue, la même religion ni le même alphabet. En 1929, l'hégémonie serbe poussera le roi Alexandre Ier à renverser le gouvernement en place, à prendre les pleins-pouvoirs et à fonder le Royaume de Yougoslavie. En réponse à cette prise illégale du pouvoir par les Serbes, des ultra-nationalistes croates assassinent le despote en 1934.
La prise du pouvoir communiste
La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti.
La rupture
Tito met rapidement en place le socialisme, en comparaison aux autres démocraties populaires, ce qui lui vaudra la réputation d'un leader communiste intransigeant, à tel point que Staline lui reprochera de brûler les étapes en politique intérieure et de jouer les incendiaires sur la scène internationale. Staline craint l'émancipation de cet État, considéré comme un subordonné et un partenaire qui pourrait devenir un rival. En 1948, des premiers litiges frontaliers surviennent entre la Yougoslavie et les démocraties populaires voisines. De plus, Moscou et le bloc du l'est pointent du doigt la nature même du régime et son aspect fédératif.
Le grand-frère possessif (Marcus Edwin, 1948) |
Le 19 mars 1948, les soviétiques rappellent tous leurs conseillers militaires. De plus en plus, titistes et staliniens se critiquent mutuellement et chaque parti épure son gouvernement des membres du camp adverse. Le 28 juin 1948, le Kominform publie un document dénonçant la déviation yougoslave. La querelle entre ces deux leaders ennemis d'un même monde n'est pas idéologique. À l'heure qu'il est, Tito n'a pas créé de nouvelle idéologie. C'est seulement après cette rupture avec Staline que le dirigeant yougoslave écrit sa propre doctrine, indépendante et marginalisée de celle de Moscou.
La doctrine Titiste : l'autogestion et les trois « D »
La rupture entre Staline et Tito fait entrer la Yougoslavie dans un isolement total. La politique d'industrialisation forcée se révèle catastrophique. Le blocus imposé par les pays membres du Pacte de Varsovie oblige Tito à trouver une nouvelle voie économique. C'est ainsi que le PCY opte pour le pragmatisme et va s'ouvrir timidement à l'ouest. Tito adopte le principe d'autogestion : la prise en main par les travailleurs des entreprises et un gain en pouvoir et en indépendance des municipalités. L'idéologie titiste se résume donc succinctement ainsi : démocratisation, décentralisation, désétatisation, ce qui entraîne une ouverture aussi bien intellectuelle qu'économique considérable.
Du haut de son cadre, Tito veille sur une boucherie de Maribor en Slovénie (1957). |
Cette doctrine convainc les occidentaux, d'autant plus que Tito est un farouche opposant à Staline. En voici un exemple simple : durant la seule décennie 1950-1960, les États-Unis versent une aide financière de 2,4 Mds de dollars à la Yougoslavie.
Le pragmatisme
À la suite de la mort de Staline en mars 1953, les relations soviéto-yougoslaves connaissent une amélioration temporaire. Toutefois, Tito sait pertinemment à quoi s'en tenir avec le Kremlin. C'est pourquoi, fidèle à son pragmatisme, il noue des liens avec l'Inde de Nehru et l'Égypte de Nasser. C'est avec ces deux pays que Tito fonde le mouvement des non-alignés lors de la Conférence de Bandung en 1955. Rassemblant derrière lui tous les pays ne souhaitant pas s'allier à l'un ou l'autre bloc et qui soutiennent la coexistence pacifique entre les États-Unis et l'Union soviétique, la popularité de Tito devient planétaire.
Pour les occidentaux, la Yougoslavie demeure une anomalie du bloc de l'Est, appartenant bel et bien au camp soviétique. Toutefois, la Yougoslavie se distingue des autres pays "satellisés" par un dialogue plus ouvert et une autonomie plus importante.
Du point de vue soviétique, le schisme yougoslave est une honte qui remet en cause tout le fonctionnement et l'autorité implicite de Moscou au sein du monde communiste.
Conclusion
Il est néanmoins important de préciser que si le schisme yougoslave a été capital, ce n'est pas tant pour ses répercussions très limitées sur la scène internationale que pour son simple aspect idéologique et doctrinal osant s'opposer à la toute-puissance du Kremlin.
Tito a réussi un double défi : épargner à son pays l’autorité de Moscou et unir dans un même État des peuples radicalement différents. Ces deux défis étaient-ils trop difficiles à relever pour les successeurs de Tito ? Après sa mort en 1980, la Yougoslavie décroît lentement pour finalement sombrer dans une guerre civile atroce en 1990. Il semble que seul le Maréchal à la main de fer ait pu tenir ce pays. Une fois disparu, la Yougoslavie ne pouvait survivre à Tito.
Pour les amoureux d'archives, un reportage de l'INA de 1999 en guise d'épilogue et pour introduire à la descente aux enfers que vivront les Balkans après la mort du Maréchal Tito.
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