Victime d'une procrastination exemplaire, cet article n'avait pas vocation à paraître tout de suite. La disparition du pape François en ce 21 avril 2025 a été un électrochoc. Certes, il était de notoriété publique que la santé papale était mauvaise depuis plusieurs années. Néanmoins, malgré un corps affaibli, le pape François continuait de transpirer l'espérance et la simplicité. Au milieu d’un monde de forteresses sombrant peu à peu dans une fange nationaliste, François incarnait le pardon, le dialogue, le courage et l’écoute. Quelle meilleur date pour mourir que le lendemain des fêtes pascales ?!
Cet article, publié comme un dernier hommage, a été rédigé de son vivant. Je ne souhaite pas le passer à l'imparfait : le message que portait le pape n'est pas mort avec lui.
Le pape François a tout d'un pape novateur. Dès son intronisation, le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio choisit un prénom de pontificat inédit – malgré les 265 papes qui l'ont précédé – François et il a bien précisé qu'aucun chiffre ne devait accompagner ce prénom. Ce premier choix était révélateur du personnage. François est également le premier pape non-européen – il est né à Buenos Aires – et apporte donc une vision du monde complètement différente au Saint-Siège.
À l'automne 2013, le récent pape prend la parole pour s'opposer à une intervention militaire en Syrie. Le 6 mars 2021, François se rend en Irak pour rencontrer l’un des leaders du chiisme, l’ayatollah Al-Sistani. François innove. Il vit ce qu'il prône et ne craint pas de sortir des traditions, bien au contraire. Penchons-nous sur la diplomatie d'un pape qui sort de l'ordinaire.
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Le pape, à gauche (est-il besoin de préciser) et l'ayatollah al-Sistani. Il s'agit de la première venue d'un pape en Irak ! |
Un pape qui n'a pas peur de ses convictions
Être diplomate ne signifie pas être neutre. Le pape François, natif de Buenos Aires et non de Zurich, l'a bien compris. Malgré ses 44 ha, qui en font le plus petit État du monde, le Vatican n'est pas en reste sur la scène internationale. Ainsi, les papes successifs, par des écrits, des encycliques, des discours, dictent une ligne de conduite aux chrétiens et à tous les Hommes plus largement. Toutefois, François va plus loin que son prédécesseur Benoît XVI, en prenant parti sur des sujets que la religion ne touche que de loin. Ainsi, lors de l'éclatement de la crise sanitaire, le pape François s'est immédiatement rangé du côté des restrictions sanitaires en adoptant une position très ferme, lui valant des critiques, de la part-même de nombreux chrétiens. Sa position sur la crise sanitaire l’a ainsi amené à s’opposer au président des Etats-Unis d’alors, Donald Trump ou même de Jaïr Bolsonaro au Brésil. François s'est également opposé au chef de l'exécutif italien de l'époque, Mattéo Salvini.
Le pape n'hésite pas à affirmer ses positions au Proche Orient également. François maintient la position traditionnelle du Vatican en faveur de l’internationalisation de Jérusalem et de la reconnaissance d’un État palestinien, comme en témoigne le traité signé avec l’Autorité palestinienne en 2015, ce qui le place en opposition avec Israël et les courants évangéliques sionistes.
Écologie environnementale, humaine, divine : intégrale
Juin 2015, la COP 21 de Paris commence dans moins de 6 mois. C'est un texte éclairé et éclairant que le Pape François propose à tous les chrétiens de la Terre et plus généralement, à tous les dirigeants du monde ; Laudato Si. Le Pape exhorte chaque être humain à poser un regard d'amour et de respect sur la nature, sur nous-mêmes et sur nos prochains. C'est ainsi qu'il propose le concept « d'écologie intégrale » : une écologie « qui incorpore la place spécifique de l’être humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui l’entoure ». En effet, nous ne pouvons « concevoir la nature comme séparée de nous ou comme un simple cadre de notre vie ».
C'est la société actuelle qui considère chacun comme étant un rouage de la grande machine productive : l'Homme au service de la surproduction. De ce système vont naître des personnes marginalisées, des « déchets » humains, inutiles à la société, les personnes âgées, les sans-abris, les handicapés,... Toutes nos relations ne sont fondées que sur l'intérêt. Dans une relation, nous ne voyons plus l'autre en tant qu'humain, en tant qu'autre personne ayant un droit à la vie égal au mien, en tant « qu'autre je ». Nous déshumanisons les pauvres pour ne pas avoir de remords, comment éprouver de l'empathie pour un objet ? On ne parle plus de sans-abris mais de SDF, un acronyme réducteur et avilissant qui chosifie l'humain.
Tout est lié pour le Pape. Si nous voulons aider les pauvres, les affamés, les sans-abris, les rejetés, les « déchets humains », nous devons écouter le cri de la terre », nous devons nous tourner vers les vraies et les justes valeurs d'un bonheur unique et plein. Sachons aimer la nature, sachons regarder l'autre comme lui-même et non comme la source potentielle d'un intérêt égoïste. La justice et la charité envers les pauvres est inséparable de la recherche de la paix, de la protection de notre « maison commune » et de la reconstruction d'un cadre moral et éthique.
À contre-courant d'un réalisme ambiant, le Pape est optimiste, il croit en l'Homme qu'il sait naturellement capable de bien. Il mise sur un autre style de vie : malgré la culture du consumérisme, « tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains peuvent aussi se surmonter ».
Des discours de paix partisans
François sait aussi jouer un rôle de médiateur. Il sait que sa posture a une influence et il s’en sert pour tenter de pousser certains pays ou parties en guerre au dialogue. En s’impliquant dans le conflit israélo-palestinien – réception des deux leaders politiques au Vatican –, en permettant des rencontres officieuses entre Cuba et les États-Unis, des rencontres au Venezuela ou en Birmanie, le pape a complètement réintroduit le Saint-Siège dans le jeu des puissances.
Le pape François manifeste une profonde méfiance à l’égard de la puissance militaire des États-Unis, dénonçant notamment l’usage des drones, des bombardements ciblés et de la robotique dans la guerre, comme en Syrie et en Irak. Cette réserve s’étend également à l’OTAN, dont l’élargissement et le renforcement financier suscitent la circonspection du Saint-Siège, en particulier lorsque ses interventions ne font pas l’objet d’un consensus international. François défend une vision de la paix en Europe incluant pleinement la Russie, perçue comme un acteur légitime des relations européennes en raison de son ancrage chrétien et de son rôle stabilisateur en Syrie. Il critique vigoureusement l’Occident pour son libéralisme culturel et sa sécularisation croissante, tout en dénonçant l’action de l’OTAN et l’encerclement stratégique de Moscou, une position qui reste largement ignorée par les États-Unis et l’Europe occidentale.
La politique asiatique du pape François, marquée par une approche pragmatique et une volonté de dialogue avec des régimes autoritaires, suscite des réactions contrastées. Son soutien au rapprochement intercoréen, ainsi que l’accord signé avec Pékin sur la nomination des évêques, perçu à Rome comme une avancée, sont critiqués comme des concessions excessives, notamment par le cardinal Joseph Zen, qui déplore le manque d’engagement du Vatican en faveur des libertés démocratiques à Hong Kong. En outre, le pape a profité de la pandémie pour diffuser des messes en streaming partout dans le monde, en Chine notamment où pourtant la religion n’est pas la bienvenue. Cette manœuvre de François est historique puisque traditionnellement en Chine communiste, le pape est persona non grata : il est religieux et dirigeant étranger, on ne peut faire pire comme défauts aux yeux des chinois. Pourtant, depuis la pandémie, le pape a réussi à se faire connaître des chinois et des images et vidéos de lui circulent en Chine. Les messes qu’il diffusaient en streaming étaient traduites en temps réel en chinois et étaient diffusées librement.
Un pape ouvert et voyageur
François est un pape globe-trotter, à l’image de son prédécesseur et il est certain que ses soucis de santé qui l’empêchent de bouger doivent le rendre fou. Le pape cible ses visites et ne les choisit pas au hasard. Parmi les plus notables, on peut retenir la visite de l’île de Lampedusa dès 2013, célèbre île italienne connue pour être un passage majeur de migrants, celle de Lesbos avec des migrants à bord de l’avion du retour, la rencontre avec le patriarche Kirill à Cuba et celle de l'imam de la mosquée d'Al-Azhar au Caire. Bref, une activité diplomatique qui témoigne de la place du Saint-Siège dans le monde, dont l’influence et l’intérêt vont bien au-delà du monde catholique.
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Le pape François à Lampedusa. |
Concernant l’islam et le Moyen-Orient, François veut aller plus loin que Jean-Paul II et instaurer un dialogue solide. Le 6 mars 2021, François se rend en Irak pour rencontrer l’un des leaders du chiisme, l’ayatollah Al-Sistani. Cette visite est historique puisque le pape en personne va fouler le sol de villes saintes irakiennes chiites, ce qu’aucun pape n’avait fait avant lui. Par cette visite, le pape François apporte son soutien à un Etat irakien qui a su faire ses preuves en l’accueillant et François veut certainement envoyer un message à des pays plus radicaux, comme l’Iran.
Le pape François se méfie de l'Europe, du libéralisme nocif qu'elle prône, de son sécularisme grandissant et de ses politiques migratoires. Faut-il y voir là l'explication de cette déclaration d'août 2023, à l'occasion des Rencontres Méditerranéennes : « Je vais à Marseille, mais pas en France ».
Conclusion
François montre l’exemple mais vouloir la paix ne suffit pas à l’imposer. François alerte, propose des solutions, dialogue, félicite, encourage mais voilà, on touche là aux limites de la diplomatie. La bonne volonté et le dialogue ne suffisent pas. Pour le pape, la fin ne justifie pas les moyens. Pour obtenir la paix, il se doit d’être un exemple de paix et tous ses discours vont dans ce sens-là.
Ces prises de positions fortes sur des valeurs « faibles » ont fait du pape François l’épouvantail des dirigeants populistes – Orban en Hongrie, Douda en Pologne – ce qui est compréhensible lorsqu’on entend ses discours de paix, de tolérance et de dialogue avec l’islam, d’accueil des migrants.
La diplomatie de l’espérance est une diplomatie de la justice sans laquelle il ne peut pas y avoir de paix.
Le camulogène c'est génial !!!
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