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L'Homme de Tautavel ou les origines de la gastronomie française

L'Homme n'a jamais été aussi proche de poser le pied sur Mars. C'est du moins ce qu'affirme le messianique Elon Musk, du haut de son empire financier. Comme si la conquête lunaire, pourtant encore récente, ne suffisait plus à notre ambition. Que dire alors de la conquête de la Terre elle-même ? Je n'aurai pas l'ambition de répondre à cette question. Restons donc humblement chauvins et contentons-nous de nous interroger sur l'identité du premier Français, ou du moins du premier Homme, à avoir fouler ce qui deviendra, à travers les âges, la terre de France.


Les premières traces d'occupation de la France remontent à plus d'un million d'années. Alors que le climat se réchauffe quelque peu entre deux périodes glaciaires, les Hommes sortent de leurs grottes et nous livrent quelques traces de leurs passages. C'est ainsi que de modestes outils de pierre furent retrouvés dans la grotte du Vallonnet à Roquebrune-Cap-Martin et le Bois-de-Riquet à Lézignan-la-Cèbe (ça ne s'invente pas). Toutefois, on n'a encore mis la main sur aucun reste humain de cette époque. 


Le fort joli village de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes). Les hommes préhistoriques avaient du goût.


Il convient de faire un bond – olympien, en quelque sorte – de 500 000 ans pour se rendre dans les Pyrénées-Orientales, pour rencontrer ce qui pourrait être considéré comme le plus ancien "Français". Si vous me répondez que je présuppose une identité française de toute éternité, je vous rétorquerai, évidemment, qu’il n’en peut être autrement. Cependant, évitons de nous perdre dans des vérités générales et revenons à notre sujet.

C'est en 1971, dans le sous-sol d'une grotte de la commune de Tautavel qu'est mis à jour le crâne d'un Homme qui aurait vécu il y a près de 450 000 ans (cf image de l'en-tête). À l'époque, il s'agit du plus vieux fossile humain d'Europe. Un record pour un individu dont on a estimé qu'il devait avoir une vingtaine d'années. Pour les plus spécialistes en généalogie humaine, notre Homme de Tautavel appartenait à l'espèce Homo Heidelbergensis et serait un ancêtre probable de l'Homme de Néandertal.

Les restes retrouvés sur le site sont classés selon l’ordre chronologique de leur découverte, sous la désignation "Arago", en référence à la grotte elle-même – et non à François Arago, éminent savant et homme politique du XIXe siècle, qui, soit dit en passant, mériterait sans doute un article à part entière. Ainsi, le crâne de 1971, pièce maîtresse et la plus fameuse du site, est répertoriée sous l’appellation « Arago 21 » (le 21 boulevard Arago à Paris fait l'angle avec la rue Berbier du Mets, dans le XIIIe arrondissement de Paris et n'a absolument rien à voir avec notre sujet).


L'entrée de la grotte de Tautavel : un portail vers les âges.


Les fouilles, toujours en cours sur le site de la Caune de l’Arago, ont mis au jour plus de 150 restes humains. Peut-être les membres de la grande famille de notre Homme de Tautavel ? C’est tentant de l’imaginer, même si ces 152 fragments s’échelonnent sur 170 000 ans (de - 570 000 à - 400 000 ans) ce qui, avouons-le, rendrait tout arbre généalogique un peu… branlant (sentez-vous le doux parfum de l'euphémisme piquant?).


À quoi ressemble notre Homme de Tautavel ? En voici une brève description — sait-on jamais, il pourrait bien vous rappeler quelqu’un de votre entourage… Son crâne est plus allongé que celui de l’Homo sapiens, en partie à cause de son front très incliné vers l’arrière. Son visage avance vers l’avant et est marqué par d’épais bourrelets au-dessus des yeux, qui lui donnent une apparence plus massive et primitive. L’Homme de Tautavel mesurait environ 1,60 mètre et pesait autour de 50 à 55 kg, avec un corps musclé et robuste. Il était probablement couvert de poils, bien que plus clairsemés que ses ancêtres Homo Erectus, et possédait une peau épaisse, adaptée aux rigueurs de son environnement. Le volume de son cerveau est compris entre 1 100 et 1 200 cm3. Pour comparaison, le volume du nôtre se situe aux alentours de 1 400 cm3 en moyenne, évidemment.


Une reconstitution de l'Homme de Tautavel dans son environnement au musée de la préhistoire de Tauatvel.


Que mangeait l'Homme de Tautavel, alias Arago 21 ? Les fouilles effectuées nous donnent une fois de plus la réponse. Dans la grotte ont été retrouvés des restes de bœufs, cerfs, chevaux mais aussi rhinocéros, daims et bisons ! La faune et flore de l'époque sont bien différentes. Outre les loups et les ours bien implantés, l'ouest de l'Europe est à l'époque arpenté par des lions, des mammouths et des aurochs. Toutefois, à en croire les analyses menées sur les os de l'Homme de Tautavel, tous ces animaux n'auraient été que des amuses-bouches. Les os humains découverts à la Caune de l’Arago présentent des stries et des fractures, indiquant une manipulation humaine, probablement à des fins utilitaires (comprendre ici caloriques). Ces traces se retrouvent principalement sur des mandibules, fémurs et tibias, tandis que les os des bras et les parties du thorax, des mains et des pieds sont moins affectés,  suscitant des interrogations sur leur exploitation. Les stries sont discrètes, et les fractures se concentrent au centre des fémurs. De plus, certains os montrent des marques de carnivores, suggérant que les animaux ont charogné les dépouilles peu après l’intervention humaine. En d'autres termes, l'Homme de Tautavel, fier d'être le plus vieux des français, a été mangé par d'autres Hommes de Tautavel.

L’Homme, naturellement bon ; la France, un sanctuaire de la gastronomie. Telles sont des vérités qui, pourtant, se dérobent à notre compréhension après la lecture de ces lignes. 


« Donnez-moi de bons cuisiniers, je ferai de bons traités » disait le machiavélique Talleyrand. Sans doutes, en cette grotte perdue des Pyrénées, son lointain ancêtre avait-il grogné : « Donnez-moi de bons fémurs, je ferai une bonne censure ».  


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