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BB 26000 : puissance et polyvalence

Universelles, polyvalentes, modernes, puissantes, non, ce n'est pas une publicité pour le prochain Renault Espace 6 mais pour des engins, certes moins abordables pour les simples particuliers que nous sommes, mais qui n'ont pas moins façonné notre quotidien : les BB 26000.

Un nom de série insipide pour les athées ferroviaires, un synonyme d'excellence pour les initiés. Ce n'est pas sans raisons : elles savent tout faire et avec brio.

Intercité pour Brive-la-Gaillarde au départ de Paris-Austerlitz, assuré par une BB 26000 (19/11/2024, photo L. DOUCET)

Les BB 26 000, plus connues des amateurs sous le nom de « Sybic », sont une série de locomotives de la SNCF, arrivée sur les rails français à la fin des années 1980. Elles se targuent alors de présenter plusieurs innovations techniques leur valant un temps de mise au point plus long que l'accoutumée. Cette intronisation passée, les BB 26 000 ont été à la hauteur des attentes. Leur polyvalence leur a permis d'assurer aussi bien de lourds trains de fret que de rapides trains de voyageurs que ce soit sous 1 500 V ou sous 25 000 V. 

Avant l'arrivée de nos BB 26000, il régnait sur le rail français un chaos en règles (toute exagération mise à part évidemment). Mettons un instant de côté les retards et les incidents voyageurs — ces divinités capricieuses du désordre, dont l’empire s’étend bien au-delà de notre entendement mortel, et dont l’insondable puissance exige une révérence sacrée, une humilité presque mystique… à laquelle, hélas, votre humble serviteur ne peut, en cette heure, pleinement prétendre. 

Or donc, dans les années 1970, le réseau français est largement électrifié. Néanmoins, la France a cette spécificité d'avoir électrifié ses lignes sous deux tensions différentes : 1500 V continus et 25000 V alternatifs. Curieuse idée certes mais qui n'est pas le fruit du hasard. Les années 1920 voient le début de l'électrification sous 1500 V. Une tension facile à exploiter par troisième rail, un moyen que les compagnies ferroviaires pensaient alors généraliser. Dans les années 1960, une seconde tension fait son apparition : le 2500 V alternatif. Cette tension plus élevée permet de réduire significativement les pertes d’énergie ainsi que la densité des infrastructures en bord de voie, telles que les transformateurs et les sous-stations. Elle autorise également une augmentation de la puissance disponible pour les trains. C’est dans ce contexte que voient le jour les premiers grands express électriques, annonçant les évolutions techniques qui mèneront plus tard à l’avènement du TGV.

Deux tensions cohabitent donc et chacune nécessite ses propres locomotives. Ainsi, sous 1500 V, roulent les CC 7100 et 6500, les BB 9100 et 8400. Sous 25000 V roulent les BB 12000 et 13000 ainsi que les CC 14000. Liste, évidemment, non-exhaustive. La solution semble donc résider dans des machines bicourant, c'est-à-dire capable de se nourrir des deux types d'alimentation. Les prototypes de BB 10003 et 10004 ainsi que la série des BB 22200 ont été prometteuses. Face à ce patchwork roulant, la BB 26000 devait apporter un vent d'unification, de modernité et de simplicité. 


Une BB 26 000 à la tête d'un TER pour Clermont-Ferrand accolé à un TER pour Lyon assuré par un UM2 de Z 54 500 Regiolis, en gare de Paris-Bercy (30/06/2024, photo L. DOUCET)

Voici donc la genèse des BB 26000. En plus d'opter pour la double traction (bic pour bicourant), les Sybic apportent plusieurs nouvelles innovations dont celle du moteur à traction synchrone (Sy pour synchrone). Testée sur plusieurs machines prototypes (BB 10003 et 10004 et BB 20011 et 20012), la traction synchrone sera utilisée par la suite sur les TGV Atlantique. 

Tentons de vulgariser des éléments de mécaniques... nauséabonds. Un moteur synchrone (opposé au moteur asynchrone, jusque-là en vogue) est un moteur dans lequel la partie tournant (le rotor) tourne exactement à la même vitesse que le champ magnétique créé par l’électricité dans la machine. Les deux sont synchronisés, comme deux aimants se poursuivant sans jamais se rattraper. Le moteur synchrone permet de faire varier la tension d'un courant continu et de faire varier ce courant de continu à alternatif. Arrêtons-nous là avant de blasphémer davantage les secrètes arcanes de l’ingénierie ferroviaire.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'avec les BB 26000, la SNCF dispose de locomotives aussi puissantes sous 1500 V que sous 25000 V. Des locomotives bicourant à traction synchrone : le surnom de Sybic, dénomination encore barbare il y a 3 minutes, devient désormais limpide. 


TER V200 Paris-Mulhouse avec des voitures corail en livrée TER-Alsace (9/03/2024, photo L. DOUCET).

Les premières BB 26000 sortent des ateliers en 1988 et sont affectées au dépôt de Dijon, ville à la croisée des grandes lignes ferroviaires et des usines Alsthom (le « h » était encore en vigueur dans les années 1980) de Belfort. Dotées de technologies nouvelles, la SNCF avait prévu des retours fréquents des 26000 aux ateliers (et ce fut le cas). En effet, en plus de cette sombre histoire de moteur synchrone, les BB 26000 expérimentent le freinage rhéostatique (lors du freinage, le courant de traction est dissipé dans une résistance). Les BB 26 00 ont donc tout pour plaire : à leur polyvalence se joint un rapport poids/puissance inédit. 90 tonnes pour 5600 kW. Les précédentes CC 6500, que nos Sybic remplacent, développent certes 5900 kW mais pour un poids de 120 tonnes. 

Jusqu'en 1997, ce ne sont pas moins de 234 locomotives BB 2600 qui sont livrées. Les 30 derniers exemplaires furent ensuite transformés pour donner naissance à la série des BB 36000, version 2.0 des Sybic, et surnommées « Astride » (pour Asynchronous Tricurrent Drive Engine).

En 1999, le parc des Sybic se répartit ainsi : 36 au service grandes lignes et 198 au fret. L'universalité des 26000 se trouve mise à mal... 

Parmi les liaisons voyageurs effectuées par les BB 26000, citons celles-ci (V200 fait référence à la vitesse commerciale de 200 km/h) : 

  • Paris – Toulouse (V200) ; 

  • Paris – Clermont-Ferrand (V200) ; 

  • Strasbourg – Mulhouse – Bâle ;

  • Paris – Orléans ; 

  • Venise-Simplon -Orient Express (Paris – Venise)

  • ainsi que plusieurs trains de nuit. 

Deux machines (26005 et 26019) sont affectées au VSOE dans une livrée bleu-nuit. 


La BB 26 001 à la tête d'un corail Intercité en provenance de Clermont-Ferrand, en gare de Paris-Bercy. Cette machine est la dernière BB 26 000 en livrée En Voyage encore en service en mai 2025 (3/03/2021, photo L. DOUCET)

À la fin des années 2000, à partir de 2009, les opérations de mi-vie commencent pour les Sybic. Une large part d’entre elles bénéficie d’une rénovation soignée dans les règles de l’art, tandis qu’en raison du déclin du trafic fret, de nombreuses BB 26000 sont simplement « mises en réserve », maintenues en bon état et stationnées dans divers dépôts à travers le pays.

Fait étonnant : la BB 26172 est préservée à la Cité du Train de Mulhouse, alors que 150 de ses consoeurs étaient encore en activité fin 2022. Doit-on y lire une forme de désillusion, à la lumière des ambitions que les Sybic avaient su incarner à leurs débuts ? Début 2024, seules 140 machines étaient encore opérationnelles sur les 234 livrées. Des chiffres applicables à des séries de machines plus anciennes mais pas aux 26000 qui n'ont alors qu'entre 26 et 36 ans de service à leur actif. 

Deux vidéos de Sybic en exercice à Mulhouse et Paris-Austerlitz (2024, C. DOUCET)





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