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[Brève marine n°1] Suffren : la relève est arrivée

Les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de la nouvelle classe Suffren, dont le premier exemplaire a été officiellement admis au service actif en 2022, marquent une nouvelle étape significative dans l'Histoire de la Marine nationale. Intégrant des capacités accrues tant en matière d’armement que d’interopérabilité, ces bâtiments incarnent l’évolution doctrinale et technologique de la composante sous-marine de la Marine, par rapport à leurs prédécesseurs de la classe Rubis, en service depuis les années 1980.

Dotés de la récente torpille lourde F21 et du missile de croisière naval (MdCN), capable de frapper des cibles terrestres avec une précision métrique à plusieurs centaines de kilomètres, les SNA Suffren offrent une palette de projections de puissance jusqu’alors inédite pour la France. Par ailleurs, leur conception modulaire et leur discrétion acoustique considérablement améliorée facilitent leur intégration dans les structures navales interarmées et multinationales. Ils sont également optimisés pour la mise en œuvre d’opérations spéciales grâce à un sas de nageurs de combat et à un hangar de pont spécialement conçus pour accueillir des drones sous-marins.


Vue de synthèse d'un Suffren en plongée. 

Caractéristiques


Liste des navires


* Le De Grasse a quitté les chantiers navals de Cherbourg le 27 mai 2025 pour rejoindre son dispositif de mise à l'eau. 

En novembre 2023, la chaufferie nucléaire du Casabianca est achevée, marquant la fin de la construction des réacteurs nucléaires des Suffren. 

Ayant déjà livré le Suffren, le Dugay-Trouin et le Tourville, Naval Group a profité des retours d'expérience des trois premiers bâtiments pour apporter quelques améliorations sur les trois derniers sous-marins (De Grasse, Rubis et Casabianca). 

Cette deuxième générations de de SNA quitte la dénomination des pierres précieuses pour rendre cette fois-ci hommage à des marins s'étant illustré au cours de l'Histoire.  Ainsi, Pierre André de Suffren était un officier de marine français du XVIIIe siècle, connu pour ses combats contre les Britanniques en Inde, notamment lors de la bataille de Négapatam (1782). Il s’est notamment distingué pour ses compétences tactiques et son indépendance de commandement.

Une relève à la hauteur, et même plus ! 

Le Suffren, premier bâtiment de la série éponyme, a vu sa construction débuter le 19 décembre 2007. C'est le 108e sous-marin construit à Cherbourg depuis 1889 dont le 17e à propulsion nucléaire. Il est le premier du programme Barracuda (programme prévoyant la construction de deux séries de sous-marins, les Suffren pour la France, les Orka pour les Pays-Bas). Le premier Suffren est mis à l'eau le 1er août 2019 et ses essais commencent 8 mois plus tard. Il est admis au service actif en juin 2022. 

La première découpe du Suffren, le 17 décembre 2007.

Malgré la transition entre deux générations, la Marine nationale doit en permanence maintenir une flotte de six SNA en service, afin de garantir un équilibre entre disponibilité opérationnelle et entretien. Ce format permet de disposer, à tout moment, de quatre bâtiments pleinement opérationnels, tandis que les deux autres sont respectivement engagés dans un entretien courant et dans un arrêt technique majeur (ATM). Les SNA de type Suffren sont soumis à un arrêt technique annuel d’environ dix semaines, ainsi qu’à un ATM tous les dix ans. 

La classe Suffren, appelée à remplacer intégralement les Rubis d’ici 2030, devra ainsi être au complet à cette date. Une fois cette étape franchie, les chantiers navals seront libérés pour entamer la construction des futurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération (SNLE 3G).

Les Suffren devront arpenter les fonds marins pendant quarante ans. Un défi de taille car, en plus des entretiens réguliers, ces bâtiments devront rester à l'avant-garde de la technologie pendant cette période alors même que l'heure est au progrès technologique accéléré. Pour se faire, leur architecture intègre dès aujourd’hui des marges d’évolution destinées à accueillir les innovations futures.

Le programme Barracuda, qui englobe la conception et la réalisation de cette nouvelle classe de SNA, représente un investissement estimé à environ neuf milliards d’euros, soit près de 1,55 milliard par unité. Chaque sous-marin exigera au total plus de 70 millions d’heures de travail.

Le Suffren incarne une prouesse d’ingénierie navale. Il est constitué de près d’un million de pièces, interconnectées par quelque 765 km de câblage électrique et 20 km de tuyauterie. Son architecture numérique repose sur un ensemble de 200 logiciels, totalisant plus de 21 millions de lignes de code, et intégrant plus de 70 000 équipements connectés à bord.

Par rapport à la classe Rubis, le volume intérieur du Suffren a été augmenté de 40 %, ce qui permet non seulement d’embarquer 50 % d’armement supplémentaire, mais aussi de répondre plus efficacement aux normes de sécurité liées à la propulsion nucléaire. Cette capacité accrue offre également la possibilité, non-négligeable, d’embarquer deux fois plus de vivres, améliorant ainsi l’autonomie opérationnelle et le confort de vie à bord lors des missions de longue durée. Le Suffren peut donc partir en mer pour des missions de 70 – 90 jours contre 45 à 60 pour le Rubis.

Bien que la photo ait été prise sur un SNLE, Emmanuel Macron a aussi été hélitreuillé sur un Suffren. Les images de ce moment d'anthologie ne sont toutefois pas disponibles. Le président a ensuite navigué quelques heures sur le nouveau sous-marin (ci-dessous).

Les Suffren déplacent un volume deux fois supérieurs aux Rubis (cf tableau n°1). Les différents équipements et organes du sous-marin bénéficient de davantage d'espace facilitant ainsi leur emploi et leur maintenance. Bien plus automatisés et disposant de davantage de technologies que leurs prédécesseurs, les sous-marins Suffren embarquent un équipage d'une soixantaine d'hommes (contre 75 pour les Rubis), libérant de l'espace pour des innovations techniques que nous aborderons plus tard. Toutefois, malgré ces gains de dimensions, le Suffren demeure un sous-marin très compact au regard de ses homologues britanniques ou américains de même génération. À titre de comparaison, les SNA Astute britanniques déplacent 7 800 t. en plongée et embarquent 14 armes de plus que les Suffren. 

Techniques et équipements

Sur le plan acoustique, les Suffren sont annoncés comme dix fois plus silencieux que leurs prédécesseurs. Pour optimiser leur furtivité, ces sous-marins sont équipés de balises qu’ils déploient afin d’évaluer les caractéristiques de l’environnement sous-marin. En effet, la propagation du son dans l’eau dépend fortement de paramètres physiques tels que la pression, la température et la salinité, qui forment des « corridors acoustiques  » favorables ou défavorables à la détection. Le sous-marin doit ainsi ajuster sa profondeur pour tirer parti de ces couches variables : tantôt pour se dissimuler, tantôt pour améliorer ses capacités d’écoute.

Un Suffren en surface. On remarquera l'enthousiasme du marin au sommet du massif.

La réduction active des nuisances sonores repose également sur une ingénierie minutieuse : tous les équipements susceptibles de produire du bruit ou des vibrations sont montés sur des plots élastiques et installés sur des structures elles-mêmes découplées de la coque. Cette architecture multi-niveaux d’amortissement vise à empêcher toute transmission mécanique directe du bruit vers l’extérieur, contribuant à la discrétion exceptionnelle du bâtiment.

La chaufferie nucléaire du Suffren, d’un poids de 400 tonnes et logée dans un volume de 10 x 10,8 mètres, reprend le modèle utilisé sur les SNLE français et le porte-avions Charles de Gaulle, assurant ainsi une standardisation des systèmes de propulsion nucléaire entre les bâtiments. Bien que sa puissance réelle reste classifiée, une valeur officielle de 50 mégawatts a été communiquée. Le réacteur alimente une turbine, elle-même couplée à deux moteurs électriques assurant la propulsion. Ce dispositif permet une autonomie quasi illimitée, conditionnée uniquement par les ressources humaines et logistiques embarquées.

Les barres de plongée arrière des Suffren représentent une évolution notable. Disposées en croix de Saint-André, selon une configuration en X, elles offrent une meilleure maniabilité. Chacun des quatre gouvernails est autonome et reste fonctionnel en cas de défaillance de l’un des autres. Cette configuration permet une vitesse de giration bien plus supérieure à celle des Rubis.
Les barres de plongée avant ne sont plus installées sur le massif, comme c'est encore le cas sur les SNLE et les Rubis, mais sont placées à l’avant de la coque, sous la ligne de flottaison. Rétractables, elles forment un système plus complexe et plus encombrant, mais permettent de réduire la traînée en plongée et d’améliorer la finesse hydrodynamique du sous-marin.

Un SNA Rubis rentrant au port.

Les sous-marins sont généralement constitués de deux coques distinctes : une coque épaisse, contenue à l’intérieur d’une coque mince. La coque mince constitue l’enveloppe externe ; elle assure la continuité des lignes hydrodynamiques et limite les turbulences en réduisant les filets d’eau. Entre les deux coques sont situés les ballasts, dont le remplissage ou la vidange permet au sous-marin de modifier sa flottabilité, et donc de plonger ou de faire surface. La coque épaisse, structure interne du bâtiment, assure l’étanchéité et résiste à la pression ; elle est conçue pour être indéformable en immersion.

Les Suffren sont les premiers sous-marins français à ne pas être équipés de périscopes traditionnels. Ils disposent à la place de deux mâts optroniques en titane, plus légers et moins encombrants que les anciens modèles. Ces mâts sont dits « non-pénétrants », c’est-à-dire qu’ils ne traversent pas la coque épaisse, limitant les risques de voie d'eau si ces mâts venaient à être endommagés. Ils transmettent leurs images et données au poste de commandement (PCNO) par fibre optique, ce qui rend inutile sa position sous le massif, emplacement auparavant imposé par la mécanique des périscopes optiques. Le PCNO peut ainsi être reculé vers l’arrière du sous-marin, libérant davantage d’espace dans la zone centrale. Ces mâts peuvent effectuer une rotation complète à 360° en quelques secondes avant de se rétracter, envoyant immédiatement les données recueillies au PCNO pour exploitation. Cette capacité permet de limiter le temps passé à l’immersion périscopique, phase durant laquelle le sous-marin reste particulièrement vulnérable.

La position du bâtiment est calculée en permanence par deux centrales inertielles, des systèmes de navigation autonomes qui déterminent le déplacement en mesurant les accélérations et les rotations du sous-marin. Ces centrales permettent de suivre la trajectoire sans recourir à des signaux extérieurs, assurant ainsi une navigation précise même en immersion profonde.

Les Suffren constituent des systèmes interarmes intégrés. En matière de communication, les nouveaux SNA sont capables d’émettre et de recevoir sur l’ensemble du spectre des fréquences, de la très basse à la très haute fréquence, leur permettant d’assurer des échanges efficaces aussi bien avec la base navale qu’avec les autres bâtiments engagés dans une mission commune.

Les armements

La valeur de l’armement embarqué par chaque sous-marin est estimée à environ 60 millions d’euros. 

Les Suffren disposent de quatre tubes lance-arme de 533 mm, fonctionnant selon un système de refoulement pneumatique. Ils peuvent embarquer un total de 25 armes, dont quatre sont directement chargées dans les tubes. Les missiles de croisière naval (MdCN) confèrent aux Suffren une capacité de frappe à longue distance inédite. Si le MdCN est avant tout conçu comme une arme de décapitation conformément à la doctrine française, il joue également un rôle dissuasif, car il peut être lancé depuis n’importe quel point en mer. Contrairement à la doctrine américaine, le MdCN français n’est pas classé comme une arme de destruction massive. La Marine nationale dispose de cinquante MdCN en version changement de milieu. À la différence des sous-marins américains, les Suffren sont équipés de tubes lance-arme horizontaux, ne disposant pas de tubes verticaux dont l’intégration aurait nécessité un diamètre de coque plus important et un surcoût conséquent. Par ailleurs, les tubes verticaux facilitent le tir rapide de salves de missiles, ce qui ne correspond pas à la doctrine d’emploi des Suffren.

Pour des raisons de sécurité, les torpilles ne démarrent pas directement dans le tube ; elles sont expulsées par un tube télescopique pneumatique avant d’être mises en marche une fois à l’extérieur. Les torpilles, filoguidées, sont contrôlées depuis le sous-marin pour ajuster leur trajectoire. Leur vitesse, réglable, peut atteindre jusqu’à 70 km/h. Équipées d’un sonar compact, elles deviennent autonomes lorsqu’elles acquièrent une cible à proximité immédiate. Le chargement d’une torpille prend en moyenne une dizaine de minutes.

Situé à l'avant de la coque, au centre des quatre tubes lance-torpilles, le MOAS constitue le sonar d’évitement des mines et des obstacles. Il s’agit d’un sonar actif, rarement utilisé en raison de son niveau sonore élevé. Le sous-marin s’appuie principalement sur le sonar passif, qui n’émet aucun signal et permet de se localiser tout en analysant son environnement, bien que sa portée soit inférieure à celle des sonars actifs.

Innovation majeure, les sous-marins Suffren peuvent recevoir un dry deck shelter (DDS), un module fixé derrière le massif, sur l’un des panneaux arrière, capable d’abriter un petit sous-marin de poche. Conçu spécialement pour les besoins des commandos marine, ce hangar de pont en acier mesure 11 m. de long pour 3 m. de large et pèse 43 t. Les commandos accèdent au DDS via un sas intégré à l’intérieur du sous-marin : une autre nouveauté des Suffren. Le module peut embarquer des drones sous-marins ainsi qu’une dizaine de nageurs de combat. Stocké dans un hangar de pont étanche, ce dernier est inondé au moment du déploiement du DDS lors des missions.Sur les sous-marins de classe Rubis, les nageurs de combat devaient sortir par les tubes lance-torpilles, une méthode peu pratique en raison de l’étroitesse des tubes qui contraignait les plongeurs à évacuer avec leur appareil respiratoire placé devant. Le DDS améliore considérablement ces opérations en offrant un espace dédié et mieux adapté au déploiement des forces spéciales.

Un Suffren accompagné de son DDS-Rémora.

Le nombre de pâles des hélices est soigneusement classifié. En effet, connaître le nombre de pâles permet d'identifier le sous-marin lorsqu’on le détecte en mer. L'hélice est carénée, elle est abritée afin de réduire le bruit et éviter la cavitation. 

L'exercice Soleil du Sud

Du 14 au 17 mai 2024, la Marine nationale a organisé l’exercice « Soleil du Sud », visant à tester les capacités de sauvetage sous-marin à travers une opération conjointe réunissant la France, le Royaume-Uni et la Norvège. Le système de sauvetage sous-marin de l’OTAN (NATO Submarine Rescue System, NSRS) était embarqué sur le bâtiment de soutien et d’assistance amphibie (BSAA) Jason.

Le NSRS, destiné à secourir les équipages de sous-marins en détresse, comprend deux composantes principales : un véhicule télé-opéré (I-ROV) et un submersible de sauvetage embarqué à bord du Jason. Ce submersible, piloté par deux pilotes et un opérateur, peut accueillir jusqu’à une quinzaine de rescapés.

Des nageurs de combat quittant le sas d'un Suffren.

La réussite de ce dispositif repose sur la coordination étroite entre les trois nations participantes et la collaboration de 50 civils et 30 militaires issus des pays partenaires. L’objectif est de pouvoir effectuer une première évacuation dans un délai maximal de 72 heures après l’incident.


Un Suffren en escorte du PA Charles de Gaulle.

Missions

Les missions des SNA Suffren sont multiples : 

  • Assurer une surveillance discrète et avancée pour le groupe aéronaval (GAN), en exploitant ses capteurs performants pour détecter et observer des menaces potentielles à distance.

  • Servir de relais sensoriel, apportant des informations précises et confidentielles sur l’environnement maritime au profit du GAN.

  • Collaborer avec les unités de lutte anti-sous-marine (ASM) pour protéger le GAN contre les menaces sous-marines et de surface.

  • Intervenir pour neutraliser ou dissuader toute unité ennemie qui tenterait de suivre ou d’observer le groupe aéronaval.

  • Protéger les sous-marins lance-missiles nucléaires (SNLE) de la Force océanique stratégique durant leurs phases vulnérables, en général au début et à la fin de leur patrouille.

  • Recueillir des renseignements de manière discrète et déployer des forces spéciales pour des opérations spécifiques.

  • Mener des attaques contre des navires de surface ou d’autres sous-marins.

  • Effectuer des frappes à longue distance contre des cibles terrestres grâce aux missiles de croisière embarqués.

Squale 25

Le 16 mai 2025, le sous-marin nucléaire d’attaque Suffren a été pris en chasse en Méditerranée lors de l’exercice interallié Squale 2025, organisé par la Marine nationale. Ce scénario tactique visait à tester la réactivité et la coordination d’une force interalliée dans un contexte de guerre sous-marine. Le Suffren a été traqué par une coalition de frégates françaises, d’hélicoptères néerlandais NH90, d’hélicoptères américains SH-60 et d’avions de patrouille Atlantique 2, simulant une chasse réaliste pour éprouver ses capacités de furtivité et de contre-mesures .


Les Suffren/Barracuda à l'étranger 

La Marine nationale prend du galon au sein des marines mondiales. Le Suffren, avec toutes ses innovations techniques, notamment celle d'être le premier sous-marin français capable de lancer des missiles de croisière, est une vitrine pour donner envie à d'autres nations d'opter pour cette technologie. 

Ce sous-marin était prévu pour l’Australie dans une version à propulsion conventionnelle, avant que Canberra ne préfère finalement un contrat avec les États-Unis, générant un incident diplomatique aux retombées encore cuisantes pour Paris. 

Aux Pays-Bas, la classe Orka vise à remplacer les sous-marins Walrus par quatre unités dérivées du Barracuda français, adaptées aux besoins locaux, avec une mise en service programmée entre 2034 et 2037, à propulsion conventionnelle et construits par Naval Group. 

Le monde se recompose. La France se réarme. La mise à l’eau du quatrième sous-marin nucléaire d’attaque Suffren, la livraison des premiers avions Atlantique 2 rénovés, le lancement de la frégate de défense et d’intervention Amiral Ronarc’h, ainsi que l’arrivée du patrouilleur La Combattante à Fort-de-France. Ces avancées traduisent un renouvellement technique important, renforçant la capacité opérationnelle et la polyvalence de la Marine nationale. Elles illustrent la volonté de doter les forces navales de moyens adaptés aux exigences actuelles en matière de sécurité et de défense.



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