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[Brève marine n°2] Clemenceau 25 : la France (ré)investit l'Indo-Pacifique

Fin septembre 2024, le porte-avions Charles de Gaulle reprend la mer après quatre mois d'immobilisation. Cette fois-ci, la mission se révèle inédite. Jamais encore, le porte-avions français et son groupe aéronaval ne sont allés si loin sur les mers.


Clemenceau 25 : la France, en consolidant ses liens avec les pays de l'indo-pacifique, réaffirme également sa souveraineté sur une région où elle a des possessions et des ambitions. Le bilan de cet exercice est en effet impressionnant pour la France : 2 500 catapultages, 40 000 nautiques parcourus (soit environ 75 000 km) et plus de 100 ravitaillements à la mer.

Le groupe aéronaval : quand la Marine projette la France

Si Clemenceau 25 est un exercice inédit, c'est bien par les moyens qui y sont mis. Cette fois-ci, contrairement aux exercices précédents dans la région, c'est tout le groupe aéronaval (GAN) français qui est déployé. Pour comprendre l'ampleur de l'opération, penchons-nous sur ce mystérieux GAN.

Le groupe aéronaval incarne la colonne vertébrale de la puissance navale française. En plus d'être un pilier de la projection de puissance française, le GAN est polymorphe. Certes, la base reste inchangée ; le porte-avions, pièce maîtresse du GAN, est toujours escorté de frégates et d'au moins un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA). Toutefois, en fonction des missions et des théâtres d'opérations, les éléments constitutifs du GAN peuvent être modifiés.

Grâce à sa combinaison de moyens aériens, maritimes et sous-marins, le GAN est en mesure d'opérer en mer aussi longtemps que loin et d'effectuer des missions très diverses. Mots-clés du GAN : liberté d'action, endurance, agilité. Ainsi, en qualifiant le groupe aéronaval français d'« outil d'agilité stratégique », Emmanuel Macron n’a fait que rappeler une évidence.

Pour l'exercice Clemenceau 25, la composition du GAN français était la suivante :

- le porte-avions Charles de Gaulle ;

- plusieurs frégates de défense aérienne (FDA) ;

- plusieurs frégates multi-missions (FREMM) ;

- un sous-marins nucléaire d'attaque (SNA) ;

- vingt Rafale Marine ;

- deux avions de reconnaissance Hawkeye ;

- cinq hélicoptères Dauphins et Caïmans ;

- un État-major embarqué ;

- un avion de patrouille maritime Atlantique-2, qui suivait le GAN à distance en étant basé à terre sur différents points d'appui.

Pour soutenir le GAN dans la durée et pour lutter contre les élongations qui gênent le ravitaillement et le support logistique, il est systématiquement accompagné par un bâtiment ravitailleur.

Une frégate en train de se faire ravitailler par le Jacques Chevalier.

En plus de sa vocation de maintenir la sécurité, le GAN est un précieux outil de coopération internationale. En effet, il peut inclure en son sein plusieurs autres bâtiments étrangers lors d’exercices. À cette liste de bâtiments, il faut donc ajouter plusieurs navires étrangers ayant gravité autour du GAN tout au long de son déploiement. Le groupe aéronaval français est habitué à s'intégrer dans des chaînes de commandements internationales ou inter-alliées comme cela a été le cas durant la mission Akila au printemps 2024 durant laquelle le GAN a été mis sous commandement de l'OTAN.

L’ensemble de ces moyens forme une escorte défensive face aux menaces potentielles visant le groupe aéronaval, mais il s’agit avant tout d’un outil offensif puissant. Il permet de détecter, analyser et agir dans les trois dimensions — l’air, la mer et les profondeurs sous-marines — ainsi que dans tous les champs d’engagement : le spectre électromagnétique, le champ des perceptions, l’espace, le cyberespace et le domaine physique.


Les cinq champs d'opération du GAN

Champ électromagnétique : il concerne l’utilisation des ondes (radars, radios, brouillage, etc.). Maîtriser ce champ permet de détecter l’ennemi, de communiquer, ou de perturber ses systèmes.

Champ des perceptions : c’est la guerre de l’information : influencer, tromper ou dissuader l’adversaire en agissant sur ce qu’il perçoit (propagande, désinformation, opérations psychologiques).

Espace : ce champ inclut les satellites pour la surveillance, la communication et la navigation. Il permet une vision globale et continue des zones d’intérêt.

Cyberespace : il s’agit des réseaux informatiques. Ce champ implique la protection contre les attaques numériques, mais aussi la capacité à en mener pour désorganiser l’adversaire.

Champ physique : c’est le domaine traditionnel : terre, mer, air et sous-marin. Il regroupe les actions militaires concrètes (frappes, déplacements, présence dissuasive).

Le groupe aéronaval constitue ainsi une force de projection puissamment protégée par un dispositif capable de détecter et de neutraliser l’ensemble des menaces — qu’elles viennent du ciel, de la surface ou des fonds marins — et ce, à différentes distances. Cette capacité de défense est amplifiée par la mobilité et la manœuvrabilité inhérentes à sa nature même de force navale de combat. Il faut rappeler qu’un groupe aéronaval peut parcourir jusqu’à 1 000 kilomètres en une seule journée, offrant ainsi une réactivité stratégique remarquable.

Le groupe aéronaval dispose d’une puissance de frappe considérable, renforcée par les missiles de croisière navale embarqués à bord des FREMM et des nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque Suffren. S’y ajoutent les missiles de croisière conventionnels autonomes à longue portée transportés par les Rafales, ainsi que les missiles Meteor, conçus pour assurer la supériorité aérienne sur de très longues distances, également embarqués sur ces appareils.

La frégate de défense anti-aérienne (FDA) Forbin.

Le groupe aéronaval est capable de déployer des actions adaptées à différents niveaux stratégiques. Pour cela, il exploite la liberté de navigation sur les mers, se positionnant loin des zones sensibles, puis envoie ses avions à plusieurs centaines de kilomètres pour mener leurs missions avant de les récupérer plusieurs heures plus tard, en totale autonomie. Cette force se distingue également par sa capacité à maintenir une présence prolongée sur un théâtre d’opérations, ce qui lui permet d’exercer une pression ou d’apporter un soutien rassurant, renforçant ainsi une manœuvre diplomatique.

Clemenceau 25 : une projection de puissance inédite

Lorsque le Charles de Gaulle et son escorte quittent Toulon le 28 novembre 2024, la scène internationale semble être secouée d'un spasme peu rassurant. En Ukraine, la guerre a franchi le cap des 1000 jours et voit une avancée record des troupes russes. En outre, la Syrie est en proie à une recrudescence de violences qui aboutira début décembre à la chute du régime de Bchar-al-Assad. Des avions Hawkeye et des navires de surface du GAN ont d'ailleurs été envoyés pour faire de la reconnaissance au-dessus du territoire syrien. Enfin, l'élection de Donald Trump laisse planer une incertitude grandissante sur une scène internationale qui n'en n'aurait pourtant pas besoin. En toile de fond, la région de l'Asie de l'est et du Pacifique devient le nouveau centre de gravité du monde, supplantant l'Atlantique. Les relations sino-russes semblent devoir commander les prochaines décennies du monde.

C'est dans ce contexte que débute l'exercice Clemenceau 25 qui a vu le GAN se déployer successivement en Méditerranée, en mer Rouge, dans l'océan Indien, en Asie du sud-est avant d'arriver dans le Pacifique occidental.


Ce déploiement avait quatre objectifs principaux :

  1. Contribuer aux opérations nationales et européennes en mer Rouge et en océan Indien. Ces opérations visent à renforcer la sécurité maritime de ces zones.

  2. Développer l'interopérabilité avec nos partenaires et alliés dans les océans Indien et Pacifique aussi bien pour le soutien, que le partage d'informations ou lors d'exercices d'envergures. Clemenceau 25 a vu 19 nations partenaires y participer.

  3. Promouvoir, au travers de ces déploiements, un espace indo-pacifique libre, ouvert et stable avec nos partenaires régionaux, dans le cadre du droit international.

  4. Protéger nos populations et nos intérêts dans la zone indo-pacifique où la France est une nation riveraine et doit exercer sa souveraineté sur l'ensemble de ses territoires ultramarins.

Afin de remplir pleinement ses objectifs, le groupe aéronaval (GAN) a intégré, tout au long de la mission, des bâtiments étrangers issus de pays alliés et partenaires, affirmant ainsi sa vocation de fédérateur et d’agrégateur de forces navales internationales. L’escorte du GAN a ainsi été régulièrement renforcée par la présence de frégates et de sous-marins provenant des États-Unis, de la Grèce, du Portugal, de l’Italie, du Maroc, du Royaume-Uni, de l’Australie, du Canada et du Japon. Par ailleurs, du 12 au 17 février, une frégate multi-missions ainsi qu’un bâtiment ravitailleur de forces (BRF) ont effectué une escale à Okinawa, au Japon. En outre, le GAN s’est arrêté pour la première fois aux Philippines, entre les ports de Subic Bay et de Manille, du 21 au 24 février.

Après avoir traversé la mer Rouge, le groupe aéronaval a pris part à l’exercice bilatéral annuel Varuna, consacré à la lutte multidomaine. Cette participation a renforcé l’interopérabilité entre les marines française et indienne, illustrée notamment par la présence du porte-avions indien Vikrant. L’Inde, en tant que partenaire clé de la région de l’océan Indien, joue un rôle essentiel dans la coopération maritime régionale.

Le Charles de Gaulle aux côtés du Vikrant durant l'exercice Varuna.

Du 16 au 24 janvier, le groupe aéronaval a participé à l’exercice La Pérouse 25 aux côtés de huit nations riveraines de l’Indopacifique. Les unités se sont entraînées à gérer une crise majeure dans les détroits stratégiques reliant l’océan Indien et l’océan Pacifique : Malacca, La Sonde et Lombok. Cette phase clé de coopération opérationnelle s’est déroulée à l’est de l’océan Indien, avec les marines des pays riverains de l’archipel indonésien, autour de la sécurité maritime de ces trois détroits principaux. Parmi les participants figuraient le destroyer australien HMAS Hobart, le patrouilleur britannique HMS Spey, la frégate canadienne HMCS Ottawa, l’USS Savannah, la frégate indienne Mumbai, la frégate indonésienne Raden Eddy Martadinata, la frégate malaisienne Lekir avec son hélicoptère embarqué, ainsi que le bâtiment Gagah Samudera et le patrouilleur singapourien Independence. L’Indonésie a également assuré le soutien à terre depuis l’île de Java, en accueillant les avions de patrouille maritime Atlantique-2 du GAN et Poséidon indien.

Enfin, le groupe aéronaval s’est déployé dans le Pacifique pour participer à l’exercice Pacific Steller, visant à renforcer son interopérabilité avec la VIIe Flotte américaine. Cette coopération est en effet relativement rare pour la Marine nationale, en raison de la grande distance séparant cette zone des ports français, contrairement aux exercices fréquents avec les Ve et VIe Flottes. Lors de cet exercice, le GAN a opéré aux côtés de bâtiments américains et japonais, notamment le porte-avions Carl Vinson et le porte-aéronefs Kaga.

Le Charles de Gaulle (au dernier rang), en compagnie du Kaga (au milieu) et du Carl Vinson, dans le Pacifique.

Tout au long de sa mission, le groupe aéronaval a pu compter sur un soutien logistique assuré par plusieurs pays partenaires. En mer des Philippines, quinze unités appartenant aux trois nations participantes, États-Unis, France et Japon, ont été mobilisées pour renforcer leur coopération opérationnelle. Lors de cette phase, un avion de transport MV-22 ainsi que des chasseurs F-18 ont successivement apponté sur le porte-avions français, avant d’être relancés par catapultage vers le porte-avions américain USS Carl Vinson


Mission Rastaban

Du 21 au 24 janvier 2025, dans le cadre de la mission Clemenceau 25, trois Rafale Marine ont été projetés depuis le porte-avions Charles de Gaulle jusqu’à Darwin, au nord de l’Australie, à plus de 1 800 kilomètres de distance. Cette opération, baptisée RASTABAN, a nécessité des ravitaillements en vol assurés par d'autres Rafale agissant en tant que « super nounous ».

Une fois sur place, les pilotes français ont mené des vols tactiques avec des F-35A de la Royal Australian Air Force (RAAF), renforçant ainsi l’interopérabilité entre les deux nations dans la région de l’Indopacifique.

Cette mission a démontré la capacité de la Marine nationale à projeter sa puissance aéronavale sur de longues distances, tout en consolidant les liens stratégiques avec des partenaires clés de la région.

Cet exercice inédit a réuni près de 3000 marins français pendant près de cinq mois. C'est la première fois que le porte-avions et son groupe aéronaval s'aventurent aussi longtemps et aussi loin de son port d'attache de Toulon.

Clemenceau 25 est l'occasion de prouver que la Marine nationale peut se déployer partout dans le monde, en particulier dans le Pacifique, pas seulement depuis ses territoires ultramarins mais aussi depuis la métropole. En-dehors d'une coopération opérationnelle, les pays riverains de l'Indo-Pacifique se réunissent dans des forums, notamment le WPNS dont la France prendra la présidence en 2026. Le message de Clemenceau 25 est clair : la France n'est pas une nation spectatrice de l'Asie du sud-est et de l'Indo-Pacifique.

L'innovation des data centers embarqués

Par son ampleur et la diversité des moyens déployés, le groupe aéronaval a également constitué un véritable laboratoire d’innovations technologiques. Cette mission de grande envergure a en effet offert un cadre idéal pour tester, en conditions réelles, de nouvelles techniques et technologies, en vue de préparer les formes futures du combat naval. C’est dans cette logique prospective que s’inscrit l’usage intensif de la donnée.

Chaque bâtiment composant le GAN a embarqué plusieurs centres de traitement de données (data centers), conférant à l’ensemble une capacité inédite de collecte, d’exploitation et de partage de l’information. Ces moyens visent à renforcer l’analyse en temps réel au sein de la force, tout en facilitant les échanges de données avec les marines alliées. Pour optimiser cette gestion, des réservistes opérationnels issus d’entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ont été intégrés à bord. Leur expertise a permis de traiter les flux issus des capteurs embarqués, de les croiser avec les données historiques propres au théâtre d’opérations, et de produire des analyses fines, précieuses pour la prise de décision.

Cette démarche s’inscrit dans un programme plus global de la Marine nationale baptisé « Signal » (Supériorité informationnelle pour la guerre navale), qui vise à structurer l’ensemble des fonctions navales autour de la donnée, que ce soit pour le combat, du commandement, de la maintenance ou encore de la formation des équipages. L’objectif est clair : transformer les données en informations pertinentes qui doivent êtres transmises aux bons marins, au bon moment.


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