Une fois n'est pas coutume, le Camulogène embarque pour l'Afrique. Continent méconnu, incompris et pourtant en peine croissance. Notre structure n'étant pas encore assez développée pour financer reportages et documentaires, ce sont sur par des mots que nous allons tenter de comprendre une région bien précise de l'Afrique : le golfe de Guinée.
Le Golfe de Guinée constitue une immense zone à l'ouest de l'Afrique, s'étalant du sud du Sénégal au sud de l'Angola et recouvrant une superficie de plus de 2,5 millions de km2 (bien que les délimitations sont sujettes à débat). Au total, ce sont donc treize États qui se partagent les rives du golfe. Treize États historiquement tournés vers la mer, qui y tirent leur nourriture, leurs ressources, leurs richesses. 4000 navires transitent quotidiennement par cette région, vitale pour les exportations des pays côtiers.
Toutefois, si le golfe de Guinée est un enjeu international, c'est avant tout pour ses ressources. En tête de file de celles-ci, l'incontournable pétrole : les sous-sols du golfe de Guinée renfermeraient ni plus, ni moins que 7% des réserves de pétrole offshore (en pleine mer) mondiales. Conscients d'être assis sur des richesses que certains ont déjà commencé à exploiter, trois pays de la région ont intégré l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) : le Gabon, la Guinée Équatoriale et le Nigeria.
Non-content de ses richesses fossiles, le golfe contient également dans ses eaux de formidables ressources halieutiques (qui renvoient à la pêche). Le volume de ces ressources s'élèverait à plus d'un milliard de tonnes. Ces ressources sont vitales pour les populations de la région mais attisent également les appétits de grandes puissances, la Chine en première ligne.
La géographie est également un atout majeur puisque le Golfe constitue un point de passage vital pour les exportations des pays riverains. Les ressources extraites dans les terres (minerais et métaux mais aussi cacao, caoutchouc et hydrocarbures terrestres) y convergent toutes. Les infrastructures portuaires explosent : Abidjan, Téma, Tomé, Lagos, Douala et Pointe-Noire. Parallèlement aux ports, c'est toute la démographie qui suit une courbe exponentielle. Les métropoles s'étalent à grande vitesse, parfois presque sauvagement, n'empêchant pas l'émergence de bidonvilles géants où criminalité et illégalité croissent impunément. La démographie est d'ailleurs l'un des défis majeurs des pays d'Afrique de l'ouest. Abidjan, Lagos et Luanda comptent parmi les plus grosse villes d'Afrique derrière Le Caire. En 2050, le Nigeria est en lice pour devenir la troisième puissance démographique mondiale, derrière l'Inde et la Chine, avec plus de 380 millions d'habitants. À cette date, les pays du golfe de Guinée concentreraient le quart de la population du continent africain.
Autre défi de la région, centrale pour la compréhension de notre sujet : la disparité des pays côtiers, sur tous les plans. Alors que le Nigeria – et ses 200 millions d'habitants – fait figure de mastodonte démographique, Sao-Tomé-et-Principe joue le rôle d'un lilliputien avec ses quelques 200 000 habitants. Sur le plan économique, alors que certains pays affichent des taux de croissance louables (Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, RDC), d'autres voient leur économie souffrir (en 2024, le Nigeria a vu sa croissance du PIB chuter à +2,9% tandis que la Guinée Équatoriale enregistrait une récession de 5,1%). Politiquement, ces pays oscillent entre la gérontocratie (la gériatrie même pour le Cameroun, dont le président est en poste depuis 1982), la dictature, la démocratie corrompue ou des régimes militaires autoritaires. En outre, bien que certains pays affichent des indicateurs économiques verdoyants, la situation sociale est loin d'être identique. En République Démocratique du Congo (RDC), la croissance de 8,4% en 2024 ne doit pas occulter un Indice de développement humain catastrophique : 180e sur 193 au classement mondial des IDH. Seule la pauvreté et la précarité semblent constituer un socle commun à tous ces pays. Faiblesse des États, instabilité, pauvreté et criminalité : un terreau fertile pour l'émergence de conflits pour l'appropriation des richesses du golfe par des organisations non-étatiques.
Le golfe de Guinée est un berceau de plusieurs menaces : piraterie, pêche illégale, trafics de drogues et humains, terrorisme. Toutes ces menaces sont à la fois la cause et les conséquences des manques de coopérations, des disparités et des faiblesses étatiques.
Si le golfe de Guinée est connu des marins, c'est bien pour sa piraterie, dont la région est devenue l'une des figures de proue, avec le golfe d'Aden et le détroit de Malacca. Au total, le golfe de Guinée regrouperait à lui seul 1/3 des attaques maritimes de pirates dans le monde. En 2020, 115 actes de piraterie y ont été enregistrés. Malgré une forte diminution en 2024, cette piraterie représente toujours un risque pour les navires de pêches de marchandises et surtout, les plateformes pétrolières.
La pêche illégale non-déclarée et non-réglementée (INN) est également un fléau. Les pêcheurs illégaux détruisent la concurrence, vident les zones de pêche privant ainsi les pêcheurs « légaux » de leur manne et affamant les populations puisque vendant le fruit de leur pêche bien plus cher, quand celui-ci n'est pas exporté (vers la Chine au hasard).
Inspection par la Marine américaine d'un navire suspecté de pêche illégale dans le golfe de Guinée. |
Passons maintenant aux trafics, cerises morbides incontournables sur le gâteau indigeste de la criminalité. Depuis les années 80, le golfe est l'une des portes d'entrée de la cocaïne sud-américaine se rendant en Europe. Ainsi, le Sénégal, le Cap-Vert ou le Bénin sont devenus des « plaques tournantes de la drogue » conformément à l'idiome médiatique en vigueur. Les routes de la drogue suivent celles des migrations et les migrants constituent une marchandise précieuse, non par la présence d'une quelconque vie humaine enfermée dans un sanctuaire corporel inviolable, mais bien plus par la perspective d'un gain absurdement élevé pour faire traverser des frontières à des groupes d'« élus » mal-informés et mal équipés. Prospérant largement sur ces activités, les groupes terroristes (AQMI et Boko Haram) entretiennent à leur tour l'instabilité des États et la corruption des élites. Depuis février 2016, le delta du Niger a replongé dans la violence armée. Cette région, pourtant vitale pour l’économie nigériane — assurant 75 % de la production pétrolière nationale et générant près de 70 % des recettes budgétaires — demeure paradoxalement l’un des territoires les plus délaissés du pays. Tandis que l’or noir irrigue les caisses de l’État fédéral, les quelque 31 millions d’habitants de cette zone stratégique du golfe de Guinée continuent, eux, de vivre dans un profond dénuement.
Les États peuvent également constituer des menaces dans le sens où ils peuvent instrumentaliser ces menaces pour servir leurs intérêts propres. Les discours anti-occidentaux cachent souvent des accords signés avec Pékin ou Moscou et les luttes contre-terroristes sont aussi l'occasion de sécuriser les pouvoirs, souvent autoritaires, en place.
Toutes ces menaces sont imbriquées et il serait stérile de vouloir les comprendre indépendamment. L'image du cercle vicieux trouve ici un écho tristement probant. Il faut considérer ces trois activités ensembles, comme un tout, avec des causes (et donc des solutions) similaires.
Pour tenter de faire face à ces menaces, des organisations sont nées. En 2001, la Commission du golfe de Guinée est créée afin de renforcer la coopération et la solidarité entre les États membres. D'autres unions économiques voient le jour : la CEDEAO (Communauté économique des États d'Afrique de l'ouest), la CEMAC (Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale), la CEEAC (Communauté économique des États d'Afrique centrale), autant d'acronymes et si peu de résultats.
À défaut de pouvoir contenir efficacement les menaces qui pèsent sur leurs eaux, les États côtiers se doivent, a minima, de créer les conditions favorables à une intervention internationale et d’afficher une volonté claire de les combattre. Il leur est fortement recommandé — comme un rappel poli de leur devoir — de ratifier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, ainsi que le Protocole de 2005 à la Convention pour la répression des actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime. Une posture attendue, sinon exigée, dans un espace où l’inaction n’est plus une option.
« La mer doit être un facteur de richesse et d'unité et non de déstabilisation » déclarait prophétiquement le contre-amiral Bied-Charreton en octobre 2024. Paris a un devoir de sécurisation de la région, auprès de pays dont la plupart furent d’anciennes colonies françaises. Les liens sont encore étroits : la France est le premier partenaire économique de la Côte d'Ivoire et le premier investisseur étranger au Bénin et au Cameroun.
La Marine française est à l'œuvre dans le golfe de Guinée depuis les années 1970. Les missions Sargasses et Okoumé avaient alors pour but de lutter contre la présence navale soviétique (Guerre froide oblige). En 1990, après la chute du bloc est, la Marine nationale demeure dans le golfe de Guinée dans le cadre de l'opération Corymbe. L'opération est avant tout centrée sur la protection des ressortissants français dans les pays riverains en cas de crise. En plus de cela, Corymbe vise à former les marines africaines du golfe de Guinée par des missions, des formations et des patrouilles communes. C'est le Commandement de l'arrondissement Atlantique (CECLANT) qui supervise cette opération et organise diverses missions notamment les exercices conjoints African Nemo et Grand African Nemo (exercice annuel). La Marine nationale cherche donc à stabiliser la région en œuvrant de concert avec les pays riverains en partageant expertise et informations. L'objectif est de créer un réseau d'acteurs expérimentés qui se connaissent et qui sachent travailler ensemble. L'exercice Grand African Nemo 2024 s'est déroulé du 4 au 11 novembre 2024 autour du porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmud.
Une patrouille des forces spéciales nigérians dans le golfe de Guinée. |
Contrairement à la piraterie en Afrique de l'est et dans le golfe d'Aden, la Marine ne lutte pas directement contre la piraterie. Elle forme les marines régionales, encadre et accompagne la lutte. C'est dans ce cadre que sont formés chaque année, par la Marine nationale, entre 500 et 1000 marins issus des pays riverains du golfe de Guinée. Certains sont même accueillis à l'École navale.
C'est dans cette optique qu'a été lancé en 2021 le projet pilote intitulé « Présences Maritimes Coordonnées ». Un projet dont le but est d'améliorer la coopération et le fonctionnement conjoint des marines présentes dans la région.
Étant donné la vasteté de la zone à couvrir, le partage d'informations est absolument nécessaire. Avant d'être redistribuées aux marines étrangères, toutes les données collectées par la Marine sont envoyées au MICACenter de Brest (Centre d’expertise dédié à la sûreté maritime), organisme placé sous l’autorité du chef d’état-major opérationnel de la Marine (ALOPS).
L'Union Européenne finance depuis 2014 le projet GoGin (Gulf of Guinea Interregional Network), un projet visant à renforcer la sécurité maritime dans le golfe de Guinée en appui au Protocole de Yaoundé.
Toutefois, la poussée djihadiste et sécessionnistes (Cameroun par exemple) dans les États du Sahel pourraient pousser certains États côtiers à se concentrer sur des luttes avant tout terrestres.
La Chine s'implante de plus en plus dans la région. Ce n'est pas sans raisons : l'Afrique de l'ouest représente 10% des approvisionnements en pétrole de Pékin. En outre, Pékin participe aussi à un « vidage » industriel des eaux du Golfe de Guinée. Si les pêcheurs illégaux constituent des concurrents illégaux, la Chine en est également un et de poids. Toutefois, les liens qu'entretient la Chine avec les pays riverains les empêchent de rechigner. La Russie est aussi soutenue par de nombreux États d'Afrique centrale et a le vent en poupe sur tout le continent.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Débattre