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Dagobert : patriarche mérovingien

Notre article commence, une fois n'est pas coutume, par un rêve. Évidemment, ce songe relève sans doute plus du mythe que de la réalité historique, mais une fois n'est pas coutume, laissons-nous embarquer en-dehors des chemins bien droits des faits historiques.

Le rêve en question a été fait par Basine, épouse de Childéric et future mère de Clovis. Voici les mots-mêmes de la chronique de Frédégaire (seule source relatant ce mystérieux rêve). 

« Lors de leur nuit de noces, Basine demanda à Childéric de regarder par la fenêtre et de lui décrire ce qu’il voyait.

Childéric dit : ''Je vois un lion avec une licorne et des animaux sujets qui sont très heureux et qui respectent le lion.''

Basine lui répondit : ''Retourne à la fenêtre, que vois-tu ?''

Childéric dit : ''Je vois un ours et un léopard et des chacals qui leur mordent les pattes et des sujets qui baissent la tête et ne font plus la fête.''

Basine lui demanda : ''Que vois-tu maintenant ?''

Childéric dit : « Je vois des chacals, des chiens et des vautours qui se battent et des sujets malheureux !''

Au matin, Basine interpréta les visions : ''Tu auras un fils, il s’appellera Clovis. Il sera puissant, il fera un grand royaume où il sera respecté, où les gens se respecteront et seront heureux. Puis viendront ses descendants qui essayeront de maintenir les règles, mais de mauvaises gens chercheront à leur voler le pouvoir, puis des chiens, des chacals et des vautours cupides se battront pour avoir le pouvoir, et les sujets seront malheureux.''». 

Qu'on en juge. Les successeurs de Clovis ont fait de l'usage de la violence excessive un usage si courant qu'ils nous forcent à reconsidérer avec humilité l'avidité de nos dirigeants politiques actuels. Les loups qu'a engendré Clovis vont écrire l'une des pages les plus sanglantes et les plus sombres de l'Histoire européenne. Voici un résumé à la hache (à la francisque plutôt), digne d'un teaser hollywoodien, afin de mieux comprendre dans quel monde naquît notre Dagobert national.

Clovis eut quatre fils : Thierry, Clodomir, Childebert et Clotaire. Selon la loi franque (la loi salique), à la mort de Clovis en 511, le royaume est partagé entre ses quatre héritiers. Étonnement, ceux-ci commencent par s'unir pour défaire le roi burgonde Sigismond. Capturé, il est livré à Clodomir qui le jette sans cérémonie dans un puits, avec sa femme et ses enfants (la famille était quelque chose de sacrée que rien ne devait séparer, quelle époque éclairée). Clodomir est finalement tué peu après dans une bataille contre les armées du frère de Sigismond. Finalement, après nombre de querelles, meurtres, alliances (quelques unes), trahisons (bien plus) et guerres (innombrables), Clotaire demeure seul à la tête du royaume désormais réunifié. Et l'Histoire ne lui rend pas hommage. Jugez-en par les surnoms que les historiens attribuent à ce Clotaire Ier : le vieux, le cruel, le médiocre, le violent, le jaloux, le cynique... Et pour cause, en 524, Clotaire assassine de sa main deux de ses neveux (Théobald et Gunthaire, âgés de 7 et 10 ans), les fils de Clodomir, qu'il considérait comme une menace à son pouvoir. Tous les accompagnateurs des petites victimes sont aussi soigneusement égorgés. Leur troisième frère, Clodoald, parvient à échapper de justesse à la tuerie. Dégoûté de la vie politique (on le comprend aisément), Clodoald prend l'habit monastique et fonde un monastère au sud de Paris. Après sa mort, il fut canonisé et nous arriva, après les polissages de la langue, sous le nom de Saint-Cloud. 

Quelques années après cet épisode, l'un des fils de Clotaire, Chramme, se révolte. Après l'avoir pardonné, Clotaire décide finalement de l'enfermer dans une cabane avec sa femme et ses enfants, avant d'y mettre le feu. Un exemple parmi d’autres de la douceur de vivre du vieux roi Clotaire. 

Et les décennies qui suivent vont encore se noircir avec l’avènement de deux reines implacables et infernales : Brunehaut et Frédégonde, plongeant les royaumes dans une période de guerre civile, appelons un chat un chat. Cette période de faide royale mériterait un article à part entière (au moins) et c'est pourquoi nous ne nous appesantirons pas dessus. Retenez simplement qu’après la chute de l'empire romain en 476, la fin du monde semble être bel et bien arrivée. 

Pour mieux s'y retrouver dans ces histoires de famille...

C'est au milieu de cette odeur de sang et de tuerie que notre Dagobert Ier (il y en aura trois au total) voit le jour, aux alentours de l'an 600. Tâche de sagesse et de paix au milieu de francs bagarreurs et violents, Dagobert entreprend de créer un royaume centralisé, doté d'une autorité unique. Les aléas de la génétique ont de quoi étonner : petit-fils de Clotaire Ier le cruel, fils du redouté Clotaire II, Dagobert se révèle être davantage un politicien pacificateur qu'un chef de guerre sanguinaire. En 623, il est nommé roi d'Austrasie par son père. À la mort de ce dernier en 629, Dagobert devient roi des francs puis roi d'Aquitaine en 632, à la suite de la mort très opportune de son discret frère Caribert II.

Le roi qui arrive donc est un fin politique qui sait négocier et surtout s'entourer. Dagobert se fait conseiller par des personnalités dont la plupart seront canonisées (pour leurs actions et leur vie bien plus que par le fait d'avoir fréquenté le roi franc, ne nous y trompons pas). C'est ainsi qu'arrivent sur la scène politique : Éloi, Didier, Ouen et Amand. Éloi (d'Éligius, l'« élu » et qui deviendra Saint Éloi), évêque de Noyon et orfèvre de talent devient le conseiller spirituel et moral principal du roi ainsi qu'un habile ambassadeur. Il est surtout connu pour sa charité et son rôle dans l’évangélisation de la Flandre.

Vitrail de 1881 représentant Saint-Éloi, dans l'église Notre-Dame des Ressuintes (Eure-et-Loire). Éloi, patron des mécaniciens, des orfèvres et de l'armée, est fêté le 1er décembre.

Didier (alias Saint Didier de Cahors) : ancien dignitaire de la cour mérovingienne, il occupa une fonction importante de gestion des finances royales avant de devenir évêque de Cahors. Sa loyauté envers Dagobert et ses talents d’administrateur en firent un pilier du royaume. Ouen (Saint Ouen ou Dadon) : issu de la noblesse franque, Ouen servit Dagobert avec fidélité avant de devenir évêque de Rouen, où il mena des réformes ecclésiastiques importantes. Sa sagesse et sa modération en firent une figure respectée de l’Église et de la cour. Amand (Saint Amand) : infatigable missionnaire, Amand parcourut la Gaule pour convertir les populations païennes, souvent en désaccord avec le pouvoir royal. Malgré cela, il bénéficia du soutien de Dagobert et fonda plusieurs abbayes majeures, marquant durablement l’histoire chrétienne. Amand apparaît comme le la transposition franque de Grégoire Ier, alias le grand, pape réformateur qui reprit vivement l'Église en mains afin de la propulser sereinement dans les siècles à venir. 

Si bon nombre des conseillers de Dagobert sont canonisés après leur mort, le roi échappe à ce vent de sanctifications. Il faut sans doute y voir le résultat des « sales désirs » qui habitent le monarque. À en croire la chronique, il serait « impossible de lister les noms de toutes ses amantes »... Raison d'État et piété certes, mais ne perdons pas le nord tout de même. 

En plus des femmes, Dagobert aime la paix. À l'image de Louis XI bien des siècles plus tard, il se montre toujours plus apte à négocier plutôt qu'à guerroyer. Ainsi, en 638, il obtient la paix avec des bretons turbulents sans jouer de la francisque. Neuf ans plus tôt, il avait déjà signé un traité de paix perpétuelle avec l'empereur byzantin Héraclius. Pendant les neuf années de règne de Dagobert, le royaume suit une cure de paix bien méritée. 

Précurseur d'un autre roi Louis, le neuvième cette fois-ci, Dagobert a soif de justice. À défaut de chêne, il parcourt sans relâche le royaume, de la Neustrie à la Bourgogne, soucieux d'écouter les doléances de ses sujets. Pour la première fois dans le royaume, la loi devient la même pour tous. Le statut social ou les dons de l'accusé ne peuvent en rien modifier la peine. Certes, les jugements demeurent encore très archaïques mais il faut bien qu'il y ait un début et Dagobert l'a posé. 

Émile Signol, Dagobert, 1842.

Dagobert sait combien le rôle de l'Église est important pour fédérer le royaume et légitimer le souverain. En plus d'une piété de rigueur, si Dagobert est proche de l'Église, c'est surtout pour consolider sa couronne. Et cela passe par des dons bien concrets. En plus des actions entreprises par ses conseillers, le roi franc multiplie les aumônes envers plusieurs abbayes en particulier, en particulier celle de Saint-Denis, au nord de Paris. Éloi la décore d'ailleurs somptueusement. Se sentant mourir, Dagobert se fait transporter dans un bâtiment tout près de la basilique, qui n'a alors pas encore son aspect actuel. Il y meurt en janvier 639. Inhumé à la droite du maître-autel, Dagobert vient d’inaugurer une tradition millénaire.

Le mausolée de Dagobert à Saint-Denis, commandé par Saint-Louis.

Avec la mort de Dagobert, ce sont son message et ses réformes qui le suivent. Le royaume franc sombre dans une nouvelle période d’obscurantisme. C'est le début de ce que la IIIe République a prétentieusement appelé les « Rois fainéants ». L'un des fils de Dagobert, Clovis, qui prit le nom de Clovis II, n'a que quatre ans à la mort de son père et l'Histoire lui attribuera l'épithète de « fainéant ». À partir de ce moment, les maires du palais s’arrogent progressivement le pouvoir réel, tout en respectant formellement la légitimité des rois mérovingiens, dont le prestige demeure trop fort pour envisager leur dépossession directe. Cette tutelle croissante instaure une dualité de fait entre un pouvoir d’apparence monarchique et une autorité d'exécution désormais concentrée entre les mains des maires du palais. Finalement, en 751, à la suite de la demande discrète de Pépin le Bref, alors maire du palais, le pape lui confère l’autorisation de déposer le jeune Childéric III et de revêtir lui-même la couronne royale : autant appeler roi celui qui exerce les fonctions de roi. Élément important, c'est le Pape qui autorise Pépin le bref à déposséder le dernier roi mérovingien. Et c'est ce même pape, Étienne II, qui couronne Pépin à Soissons. La légitimité ne vient plus du sang mérovingien, elle vient de Dieu (ce qui n'empêche pas les nouveaux carolingiens de fournir quelques fausses généalogies les rattachant aux mérovingiens pour mieux s'ancrer). 

Le trône de Dagobert qui fut utilisé pour la dernière fois par Napoléon Ier.

C'est bien après sa mort, au long des siècles, qu'est forgée la légende du roi Dagobert. Louis Ier le pieux, Saint Louis et bien d'autres participèrent à l'émergence de cette idéalisation. Si nous en avons aujourd'hui une vision « culottée », les générations précédentes ont eu du roi Dagobert l'image d'un roi exemplaire empreint d’humanité : celle d'un roi de justice, de piété, de sagesse et d’humilité tout en ayant les faiblesses humaines. « Monogame en série », il enchaina cinq mariages et plusieurs concubines. Côté paillard qui le rapprocha du peuple bien plus que de l'excommunication. Il laissa un souvenir populaire, le souvenir d'un « bon roi ». N'oublions pas que le but final était celui de l'unité du pouvoir royal. 

Si l'arbre mérovingien vacilla rapidement après sa mort, Dagobert avait enraciné un idéal politique et religieux : celui d'un royaume central fondé sur le christianisme. Un idéal qui hantera ses successeurs, bien que les réformes de Dagobert n'aient été suivies que par une nouvelle période de chaos. Le royaume ne doit pas être un trésor à partager mais un bien qu'il faut protéger. Il ne doit pas être un trophée à conquérir mais un bien à transmettre plus embelli à la génération suivante. Dagobert, un patriarche. Père fondateur et presque mythique du royaume de France. 

Quid de cette fameuse chanson alors. Car c'est bien la première chose qui vous a traversé l'esprit à la vue du titre de cet article ! « Le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l'envers / Le bon Saint Éloi lui dit... » STOP ! Saint-Éloi ? Saint, de son vivant ? Culotte ? Nous baignons en plein anachronisme ! Il n'est de culotte que celle des révolutionnaires de 1789 et de bon roi que l'indécis Louis XVI. Dagobert est de plus de 1000 ans l'aîné de cette chanson qui l'a pris en héros pour contourner la censure et montre bien en outre la renommée dont le roi jouissait alors : tout le monde le connaissait. Que je ne vous reprenne plus à tomber dans des facilités aussi enfantines et à ne pas creuser plus loin que le couplet d'une chanson révolutionnaire ! 







Commentaires

  1. Les loups qu'a engendrés Clovis...

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  2. Qu'est un faide royal svp ?

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    1. Un règlement de comptes entre grandes familles à la sauce franque.

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  3. Quel est le lien de parenté entre Dagobert et Saint Louis svp ?

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    1. Officiellement, les deux monarques ne partagent aucun sang. Ils appartiennent tous les deux à deux dynasties différentes : mérovingienne pour Dagobert et capétienne pour Saint-Louis.

      Toutefois, étant donné la taille moins important de la population, la récurrence des mêmes familles au pouvoir, et peut-être une petite dose de hasard, il est possible que certains généalogistes aguerris aient mis la main sur de possibles liens, qui n'ont toutefois pas été dévoilés aujourd'hui.

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  4. Le legs de Saint Eloi s'est enrichi il y a quelques dizaines d'années. Un apophtègme fameux et porteur d'espoir est niché dans un vers du refrain de la chanson « Le Pou et l'araignée », que je vous recommande.

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