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Lac Titicaca - Marge nationale au coeur d'enjeux mondiaux

Situé à 3 812 mètres d’altitude au cœur de la cordillère des Andes, le lac Titicaca est souvent présenté comme le plus haut lac navigable du monde. Avec une superficie de 8 346 km² et un volume de 893 km³, il dépasse largement le lac Léman.

Il occupe une place centrale dans les mythologies andines, étant perçu comme la matrice du monde par les communautés Aymaras et Quechuas qui y vivent encore aujourd’hui et attirent de nombreux touristes.

Situé entre la ville bolivienne de La Paz et celle péruvienne d’Arequipa, et bordé par l’Altiplano, le lac constitue un site naturel d’une grande beauté mais aussi un espace très vulnérable. Il subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique : sécheresse, baisse du niveau de l’eau, raréfaction des poissons et désertification des sols. Ces bouleversements écologiques aggravent l’exclusion sociale des populations andines.

Les rives reculent.

La position frontalière du lac, partagé entre le Pérou et la Bolivie, complique sa gouvernance. Malgré les efforts de coopération entre les deux pays, les tensions politiques, les divergences d’intérêts et l’inefficacité des structures étatiques freinent les solutions concrètes. Les organisations internationales, quant à elles, peinent à adapter leurs actions aux réalités locales.

Les enjeux liés au Titicaca sont multiscalaires : le climat relève de l’échelle mondiale, l’exclusion sociale des communautés de l’échelle nationale, et la pollution de l’eau de l’échelle locale. À ce titre, le lac Titicaca devient un véritable laboratoire régional, reflet des effets du dérèglement climatique à l’échelle planétaire.



1. Les enjeux environnementaux du Titicaca : entre dégradation écologique et dérèglement climatique 

Le lac Titicaca est une richesse environnementale reconnue dans le monde attirant plusieurs centaines de milliers de touristes chaque année. Toutefois, son avenir est menacé. Le manque de pluie, la hausse des températures et la pollution de ses eaux par les villes avoisinantes endommagent le lac et menacent son équilibre. Si les causes du réchauffement climatique dépassent le simple cadre du lac, il en est autrement des causes de pollution aquatique. Face à cela, plusieurs initiatives locales ont fleuri mais leur tâche semble considérable au regard de leurs moyens bien trop faibles. 

A - Une richesse écologique menacée

Le lac Titicaca constitue un écosystème écologique unique au monde. Situé en plein cœur de la cordillère des Andes, les eaux du lac viennent directement des glaciers situés sur les sommets avoisinants et donnent au lac une couleur bleu azur caractéristique. Le lac Titicaca est un écosystème fragile abritant une biodiversité unique, comprenant des espèces endémiques telles que la grenouille géante du Titicaca (Telmatobius culeus). Cette grenouille est aujourd'hui en danger critique d'extinction en raison de la modification significative de son habitat due à la pollution et au changement de composition de l'eau. Le lac Titicaca possède sa propre réserve nationale visant à encadrer les activités et à protéger la faune et la flore endémique. Rien que la faune compte près de 159 espèces.[1] Au total, ce sont 171 espèces de plantes qui ont été recensées dans la région du lac. La plus emblématique d’entre elles est le roseau totora, devenue l’emblème du Titicaca et qui sert à la construction de maisons, de bateaux et de ponts. Le lac est également réputé pour ses îles flottantes. Les racines de totora servent de base à un support terreux qui doit être renouvelé régulièrement. Habitées par les Uros jusque dans les années 1950, ce sont aujourd’hui les Aymaras qui vivent sur ces îles.

Les habitations traditionnelles en totoras.

Les activités humaines locales sont largement en cause dans la pollution du lac. Selon les estimations, le lac Titicaca recevrait plus de 100 000 t. de déchets, arrivant par les cours d’eau en provenance de la ville d’El Alto, troisième ville bolivienne par sa taille. La ville d’El Alto n’est pas équipée pour faire face à sa croissance démographique. 25% des habitants de la ville n'auraient pas accès à l’eau courante et le système de traitement des eaux est défaillant. Les eaux usées de la ville sont très largement rejetées dans les deux cours d’eau traversant la ville, le Rio Secco et le Rio Sekke. La plupart des cours d’eau des environs d’El Alto sont secs dès juin. Seuls le Secco et le Sekke coulent toute l’année, à débit moindre. Ainsi, pendant les mois d’été, la concentration de déchets dans les eaux arrivant au lac est encore plus importante et le non-renouvellement de l’eau favorise leur stagnation.[2] Ces deux rivières rejoignent le Rio Katari avant de gagner le lac Titicaca dans la baie de Cohana, partie la plus polluée du lac.[3]

Le site minier de Milluni participe lui aussi à la pollution du lac. Exploité historiquement pour ses gisements métalliques, notamment de plomb, zinc, cadmium, arsenic, et cuivre, il est aujourd'hui une source importante de pollution polymétallique. Les rejets miniers et les eaux acides générées par l'infiltration des pluies contaminent les cours d'eau et les sédiments, affectant ainsi les écosystèmes locaux et les ressources hydriques.[4]

La cimenterie de Vachia. 

Sur le même schéma, on peut évoquer la cimenterie de Viacha, située près de La Paz. Cette usine est l'une des plus grandes du pays. En plus d’émettre une pollution atmosphérique dangereuse pour les pollutions d’El Alto et de Viacha, la cimenterie est à l’origine d’une pollution massive des sols et des sources d’eau locales.[5] Des études locales ont révélé que certaines aquifères dans la région contiennent des substances dangereuses comme le cyanure, menaçant l'approvisionnement en eau potable de la région et la qualité des réserves d’eau environnantes.[6]

B - Les impacts du dérèglement climatique

Durant l’été 2023, le lac Titicaca a vu son niveau baisser historiquement. Entre la fin avril et septembre, le lac Titicaca aurait perdu quotidiennement 3 mm soit un total de 54 cm.[7] Dans les parties les moins profondes du lac, l’eau a pu reculer jusqu’à 2 km.[8] Les eaux du lac ont laissé la place à des plages blanches marécageuses, couvertes d’un tapis d’algues séchées. Cette diminution est due à un double phénomène : une évaporation plus forte en raison du réchauffement climatique et une raréfaction des épisodes pluvieux.[9] En raison du dérèglement climatique, les températures augmentent favorisant une évaporation fatale au lac et à l'agriculture. En 2023, le phénomène El Niño - phénomène climatique se caractérisant par un climat anormalement chaud - a encore aggravé la situation. Dans la région de l’Altiplano, les températures ont augmenté de 0,8°C durant la dernière décennie. Le phénomène d’évaporation est si fort que les maigres épisodes de pluie de l’été 2023 ont été sans incidence notable sur le niveau du lac. 

Le lac dépend des cours d’eau qui l’alimentent - les Rios Ilave, Suches, Ramis et Huancané - qui ont connu une chute de débit au cours de l’année ne permettant pas de régénérer les eaux du lac. Cela fait 10 ans que le niveau du lac diminue régulièrement. Les affluents du lac sont en grande partie alimentés par l’eau de fonte des glaciers. Or, les glaciers environnants fondent à un rythme alarmant, mettant en péril l'approvisionnement en eau de la région. Par exemple, le glacier Chacaltaya, qui contribuait historiquement au bassin versant du lac, a entièrement disparu en 2009.[10]

C - Des initiatives efficaces ?

La pollution des eaux du lac est le problème majeur et celui contre lequel les gouvernements péruvien et bolivien luttent le plus. En 2016, à la suite d’un accord bilatéral entre le Pérou et la Bolivie, le ministre de l’environnement péruvien a déclaré que des actions concrètes avaient déjà été lancées au travers « d’investissements dans des usines de traitement des eaux usées ».[11] C’est dans le cadre de ce projet qu’a été construite la station d’épuration de Puno, au nord-est du lac, dans sa partie péruvienne. En effet, les eaux usées des 130 000 habitants de la ville touristique de Puno se déversent directement dans le lac sans aucun traitement, formant un marécage nauséabond qui donne au lac une couleur jaune verdâtre.[12] La station d’épuration de Puno doit être la plus grande de toutes celles que propose le projet. Avec un débit moyen de 400 l/s, la station d’épuration de Puno effectue un traitement biologique des boues, une élimination de l'azote, une réduction chimique du phosphore et désinfection de l'effluent final. Plusieurs autres stations d’épuration sont en projet sur les rives du lac : Juli, Juliaca, Ayaviri, Ilave et Moho.

Les parties boliviennes et péruviennes du lac font également l'objet d’une protection RAMSAR depuis 1997.[13] Les deux parties comprennent toute la superficie du lac ainsi que les zones marécageuses environnantes, refuges de nombreuses espèces animales et végétales endémiques de ces milieux.[14] En outre, le lac est inscrit sur la liste indicative de l’UNESCO.

À une échelle plus locale, les initiatives citoyennes ne manquent pas. Plusieurs communautés locales, souvent de pêcheurs, œuvrent pour la dépollution des eaux du lac Titicaca. Le Réseau des femmes unies pour l’eau du lac Titicaca forme des femmes locales à l’utilisation de drones et d’équipements pour surveiller la qualité de l’eau.[15]

Un milieu typique des rives du Titicaca. 

La crise climatique que traverse actuellement l’Humanité n’est qu’un aspect d’une crise plus vaste. Environnement et Humain sont intrinsèquement liés. On ne peut lutter efficacement pour la protection de la nature si l’Humain est délaissé et réciproquement.

2. Des défis sociaux et économiques : dépendance, marginalisation, exploitation

Le lac Titicaca est empreint de défis environnementaux auxquels se joignent des défis sociaux et humains. Le lac est une source de revenus primaires pour les populations autochtones et locales tout en étant une destination touristique internationalement reconnue. Enfin, il faut aussi considérer la mauvaise intégration nationale des populations des rives du Titicaca au sein des systèmes politiques, économiques et culturels boliviens et péruviens. 

A - Un lac d’une importance dangereuse pour les communautés locales

Les Aymaras et Quechuas, communautés vivant autour du lac Titicaca, dépendent étroitement de ses ressources pour se nourrir, travailler et perpétuer leurs traditions culturelles. La pêche et l’agriculture, activités essentielles à leur survie, sont directement liées à la qualité de l’eau. Environ 35 000 personnes vivent de la pêche, selon la FAO [16], ciblant notamment la truite, le pejerrey (espèce invasive) et la grenouille géante. Le carachi est une base alimentaire, mais les captures ont chuté de 90 % en trente ans, à cause de la surpêche, de la pression démographique et du dérèglement climatique [16].

L’agriculture sur les îles flottantes et les terres proches reste vitale, avec des cultures comme le maïs, la pomme de terre ou le quinoa, mais elle dépend fortement du lac pour l’irrigation. Pollution et changement climatique fragilisent ces pratiques. Le lac joue aussi un rôle symbolique : lieu mythique fondateur des Incas, ses ressources sont utilisées pour les habitations (totoras), les embarcations et les rites.

La forte dépendance des populations au lac s’est transformée en vulnérabilité face aux aléas climatiques et environnementaux. Cette vulnérabilité est devenue un risque, c’est-à-dire la possibilité d’un danger aggravé par une menace et une faiblesse. Les communautés locales sont désormais confrontées à des risques écologiques majeurs, mettant en péril leur mode de vie.

B - Développement économique et tourisme : une arme à double tranchant 

En plus d’abriter les ressources primaires nécessaires à la survie des communautés locales, le lac Titicaca est une précieuse source de revenus via le tourisme. Néanmoins, le tourisme apparaît en parallèle comme une menace pour l’écosystème du lac - en raison d’une importante activité humaine sur place - et aussi pour les communautés indiennes qui dépendent des revenus du tourisme. 

Le lac Titicaca est une destination touristique mondialement prisée par les randonneurs et les amateurs de cultures indiennes. En 2019, la région du lac a vu défiler plus de 750 000 touristes du monde entier. En 2023, ils sont plus de 900 000.[18] Le lac Titicaca se place donc ainsi dans les sites touristiques majeurs du Pérou, derrière Lima, le Machu Picchu et la région d’Arequipa. Selon le ministère péruvien du Commerce extérieur et du Tourisme, environ 300 000 visiteurs explorent chaque année la région de Puno, qui inclut les îles flottantes des Uros et l'île Taquile, points d'intérêt majeurs du lac Titicaca​. Le lac est d’ailleurs classé comme site RAMSAR (Zone humide d'importance internationale). En plus des richesses naturelles présentes, le Lac titicaca est riche d’un patrimoine archéologique inca (îles du Soleil et de la Lune).[19] La culture gastronomique et l’artisanat local, notamment la transformation de textiles traditionnels produits sur les îles Taquile et Amantaní, contribuent également à faire du lac Titicaca l’une des destinations touristiques privilégiées du Pérou et de la Bolivie. 

L’économie du tourisme exerce néanmoins une pression sur l'écosystème du lac, notamment via la gestion des eaux usées. L'industrie hôtelière et les différents transports, en particulier les bateaux, sont des menaces directes à la fois pour l'environnement et pour les cultures aymaras et quechuas. En outre, les bénéfices économiques ne sont pas toujours équitablement répartis. Une grande partie des profits revient souvent à des agences de voyages basées dans des centres urbains comme Puno ou La Paz, ne redistribuant qu’une faible part des gains aux communautés autochtones. Cet aspect du tourisme n’est qu’une facette de la mise à l’écart des communautés du Titicaca au sein des schémas nationaux bolivien et péruvien.

C - Un lac révélateur d’une marginalisation nationale

L’accès inégal aux ressources du lac Titicaca reflète les profondes disparités sociales et ethniques. Les populations indigènes, notamment les Aymaras et les Quechuas, subissent une marginalisation historique, aggravée par l’appropriation des terres par des entreprises agricoles et minières. Le lac, bien qu’étant une frontière entre le Pérou et la Bolivie, fonctionne comme un espace autonome marqué par une forte identité culturelle indigène.

En Bolivie, les communautés indiennes sont tenues à l’écart du système politique malgré leur poids démographique. Les richesses nationales, comme le gaz, bénéficient peu aux populations locales. Les réformes économiques des années 1980 ont entraîné chômage, exode rural et montée de mouvements sociaux, tels que le mouvement Pachakuti et le Mouvement vers le socialisme, qui accède au pouvoir en 2005 avec Evo Morales. La nouvelle constitution de 2009 reconnaît un État plurinational [20]. Au Pérou, les inégalités persistent : les indigènes sont cantonnés aux secteurs non qualifiés et peu présents dans l’enseignement supérieur. Les manifestations de 2023 [22] témoignent d’un profond malaise face à la pauvreté et à la corruption. Dans les années 2000, des mouvements indigènes s’opposent à des projets miniers menaçant leurs terres [23].

Depuis quelques années, des groupes de femmes aymaras s’engagent pour la protection du lac, combinant traditions et actions politiques. Le Centre des Jeunes Femmes de Cohana en Bolivie développe des initiatives communautaires pour la gestion de l’eau et la sensibilisation environnementale [24].

Le lac Titicaca incarne ainsi un enjeu communautaire, économique et stratégique, où les communautés indigènes, malgré leurs luttes, restent exclues des décisions majeures.

3. L’eau comme ressource stratégique 

Le caractère frontalier du lac nécessite une coopération binationale pour la gestion de l’eau douce du lac, ressource qui apparaît comme le pétrole de demain. Si le lac est le théâtre d'initiatives de collaboration, ces efforts sont souvent limités par des différences institutionnelles, des intérêts nationaux divergents et des défis environnementaux croissants.

A - Une coopération transfrontalière nécessaire…

Créée en 1996 par un traité entre le Pérou et la Bolivie, l’Autorité binationale autonome du lac Titicaca (ALT) est chargée de la gestion politique du lac autour de trois axes : environnemental (qualité de l’eau, écosystèmes), social (inclusion des populations autochtones) et politique (ressources hydriques transfrontalières). Des accords complémentaires, comme celui de 2016, ont été signés pour protéger l’activité touristique, lutter contre les effets du dérèglement climatique et soutenir les populations locales [25].

Plusieurs projets ont émergé de cette coopération. En 2021, le Pérou a inauguré une station d’épuration à Puno, financée par un partenariat public-privé, capable de traiter 200 litres d’eaux usées par seconde. La Bolivie a mené des initiatives similaires à Copacabana, avec des capacités moindres. Ces actions visent à réduire les pollutions domestiques et industrielles affectant la biodiversité [26]. Les deux pays s’accordent également sur la nécessité de lutter contre l’exploitation minière illégale.

Face aux conséquences accélérées du changement climatique et à la crise du covid-19, la Bolivie et le Pérou ont lancé en octobre 2022 le Pacte Bleu pour le bassin binational du Titicaca (Pacto Azul)[27]. Regroupant acteurs nationaux, locaux et internationaux, ainsi que l’ALT, ce pacte a débouché sur 45 projets et 28 politiques publiques couvrant des domaines variés : gestion de l’eau, environnement, développement social et économique. Il s’attaque à des problèmes structurels comme l’eutrophisation [28], la désertification ou la perte de biodiversité. Le Pacte propose des actions de conservation, reforestation, sensibilisation et renforcement des cadres juridiques binationaux pour prévenir les conflits et favoriser un développement durable.

B - … mais difficile et cloisonnée entre intérêts et priorités divergentes 

Néanmoins, les désaccords liés au financement de l’ALT, les divergences politiques et les dissensions sur les priorités que doit suivre l’organisation entravent son bon fonctionnement. Les tensions émergent lorsque les priorités divergent : le Pérou se concentre davantage sur le tourisme et l’assainissement, tandis que la Bolivie insiste sur le développement agricole. La partie péruvienne du lac fait d’ailleurs l’objet de plus nombreuses protections que la partie bolivienne, bien plus polluée et plus délaissée par La Paz.
En 2016, un projet a été lancé, financé par la Banque interaméricaine de développement, l’Union Européenne et d’autres acteurs, pour agrandir la station d’épuration d’El Alto, dans la banlieue de La Paz. Cependant, plusieurs obstacles entravent la bonne réalisation du projet.[29] La ville ne dispose pas d’un réseau d’assainissement efficace et continue de croître de manière non planifiée, compliquant la mise en place d’un projet viable. En outre, ce programme ne traite que les déchets domestiques, alors que les industries, légales ou illégales, génèrent des déchets et pollutions spécifiques nécessitant un traitement adapté. Plusieurs acteurs (gouvernement, ONG, agences internationales) interviennent sur le même espace, rendant la gouvernance confuse. Des rivalités entre le ministère de l’environnement bolivien et les chercheurs universitaires freinent la coopération. Le personnel gouvernemental, souvent peu qualifié et changeant fréquemment, aggrave cette situation. Les acteurs divergent sur leurs priorités, entre ambitions politiques et préoccupations écologiques. Cela génère des tensions autour de la légitimité des rares décisions prises.

C - les actions internationales : financement et ingérences ?

La baisse du niveau du lac étant liée au changement climatique, la solution doit être une affaire mondiale. La moitié des glaciers péruviens ont déjà disparu et face à cela, beaucoup pensent que la réponse apportée doit être internationale. La gestion du lac Titicaca attire ainsi de nombreuses organisations internationales préoccupées par sa dégradation environnementale. Ces interventions se présentent principalement sous la forme de financements pour des projets de préservation et de gestion durable. 

En décembre 2007, la Banque mondiale a approuvé un prêt de 20 millions de dollars pour soutenir la gestion durable du lac Titicaca en Bolivie. Le projet vise à réduire la pollution, améliorer la qualité de l’eau, protéger la biodiversité et promouvoir des activités économiques durables pour les communautés locales. Des améliorations ont été bel et bien réalisées dans certaines zones, avec 16 localités équipées de meilleurs services en 2013. Cependant, les infrastructures urbaines d'assainissement et d'approvisionnement en eau dans des villes comme Copacabana et Achacachi sont restées inachevées.[30] De manière générale, l’obstacle principal à l’aboutissement des projets a été la trop faible coordination entre les entités responsables. Finalement, seulement 17 % du prêt a été utilisé comme prévu, et les objectifs principaux n'ont pas été atteints, ce qui a conduit à une évaluation "insatisfaisante" de la Banque mondiale pour ce projet.[30]

De leurs côtés, les ONG œuvrent également dans la région du lac. WWF finance des initiatives bénéficiant aux populations locales, comme les projets d’écotourisme ou la sensibilisation à la préservation des espèces endémiques. Toutefois, les actions des ONG sont souvent accusées de satisfaire davantage les préoccupations des donateurs que les besoins locaux. Par exemple, l’accent mis sur la conservation de la biodiversité par WWF a parfois été perçu comme une marginalisation des problématiques sociales des communautés riveraines du Titicaca. Les organisations internationales sont accusées d’appliquer des programmes préfabriqués sans consulter les populations autochtones. Le programme de dépollution mené par la Banque mondiale par exemple a été critiqué pour son manque de concertation avec les pêcheurs locaux, qui dénoncent l’absence de solutions à leurs besoins immédiats. 

Conclusion

Le dérèglement climatique affecte directement les ressources vitales des communautés autochtones du Titicaca. La pêche et l’agriculture sont des victimes directes des pollutions environnementales et des phénomènes de sécheresse. La pandémie de covid-19 a largement mis à mal l’économie du tourisme. Face à cela, ce sont les cultures locales qui sont directement menacées. La vie sur les rives du lac semble être de plus en plus dure. Toutefois, la vie en ville n’est pas une solution. Les Aymaras et les Quechuas sont par nature des peuples agriculteurs et pêcheurs des montagnes. Ils ne seraient pas en possession des codes, normes et valeurs de la vie citadine et de tout ce qu’elle implique en cas d’exode rural massif. 

Le lac Titicaca fait face à des problématiques d’origine mondiale mais qui ne peuvent être résolues qu’à un niveau local. Les solutions aux problèmes du Titicaca ne peuvent pas être identiques à celles devant être apportées dans la région de la mer d’Aral ou du lac Tchad par exemple. Certes, le lac Titicaca est un exemple probant pour comprendre les enjeux du dérèglement climatique et les tensions que peut générer l’eau douce. Néanmoins, si le lac Titicaca apparaît effectivement comme un laboratoire miniature des enjeux du dérèglement climatique, il faut adopter un prisme local nécessaire pour trouver des solutions efficaces. 


SOURCES

[1]. « Le Lac Titicaca - le plus grand et le plus mystérieux des lacs du Pérou », Tierras de los Andes [En ligne], 2024, consulté le 25/11/2024, URL : https://terandes.com/fr/blog/puno/lac-titicaca/

[2]. BREUILLY Léo, « La pollution du bassin versant du lac Titicaca », 2 Gouttes d’eau, [En ligne], 20/11/2015, consulté le 25/11/2024, URL : https://2gouttesdeau.wixsite.com/site-officiel/la

[3]. Ibid.

[4]. SALVAREREDY ARANGUREN Matias Miguel, « Contamination en métaux lourds des eaux de surface et des sédiments du Val de Milluni (Andes Boliviennes) par des déchets miniers Approches géochimique, minéralogique et hydrochimique », Planète et univers, 6/05/2008. 

[5]. « Revelan que acuifero de Vachia está contaminado con cianuro, 23 empresas mineras operan en el lugar », Agencia de Noticias Fides [En ligne], 26/08/2024, consulté le 26/11/2024, URL : 

https://www.noticiasfides.com/cuidado-de-la-casa-comun/revelan-que-acuifero-de-viacha

[6]. REVILLA Carlos, « Earth Day 2024 : Clever solutions to clear plastics », Catholic Agency for Overseas Development [En ligne], 22/04/2024, consulté le 26/11/2024, URL :https://cafod.org.uk/news/international-news

[7]. FERNANDEZ Liubiomir & PRINCIPE Jesus Diaz, « Lago Titicaca se seca - Impactantes fotografías desde Puno preocupan por su árido estado », La Repùblica [En ligne], 8/09/2023, consulté le 27/11/2024, URL : https://larepublica.pe/sociedad/lago-titicaca-se-seca-impactantes

[8]. CHAIGNON Juliette, « Alerte sécheresse au lac Titicaca », RFI [En ligne], 30/07/2024, consulté le 27/11/2024, URL : https://www.rfi.fr/fr/secheresse-au-lac-titicaca

[9]. FERNANDEZ Liubiomir, « Titicaca se seca y condena a la extinción a 85 mil hectáreas de totorales », La Repùblica [En ligne], 6/09/2023, consulté le 27/11/2024, URL :https://larepublica.pe/puno-titicaca-se-seca

[10]. « Adiós a un glaciar que se derrite », BBC Mundo [En ligne], 6/04/2007, consulté le 27/11/2024, URL : http://news.bbc.co.uk/hi/spanish/science/newsid

[11]. GUILLERMIN-GOLET Sophie, « Bolivie-Pérou : un accord environnemental pour sauver le Lac Titicaca », Les Yeux du Monde [En ligne], 13/01/2016, consulté le 27/11/2024, URL :https:/les-yeux-du-monde.analyses

[12]. ORIHUELA Roberth, « Titicaca: contaminación persiste a pesar de millonaria inversión en obras de saneamiento », Convoca [En ligne], 17/06/2024, consulté le 28/11/2024, URL :https://convoca.pe/titicaca-contaminacion

[13]. Site de la Convention de la RAMSAR, « Peru Names four new RAMSAR sites », RAMSAR, 6/02/1997, consulté le 7/12/1997, URL : https://www.ramsar.org/peru-names-four-new-ramsar-sites

[14]. Ibid.

[15]. HEUZEUBROC Juliette, « Les peuples amérindiens au secours du lac Titicaca », National Geographic [En ligne], 2017, consulté le 28/11/2024, URL :https://www.nationalgeographic.fr/les-peuples-amerindiens-au-secours

[16]. « La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2019. Aller plus loin dans la réduction des pertes et gaspillages de denrées alimentaires », Food and Alimentation Organization, 2019, Rome.

[17]. CHAPARRO Amanda, « À la frontière entre le Pérou et la Bolivie, le lac titicaca en proie à une sécheresse historique »,  Le Monde [En ligne], 7/12/2024, consulté le 7/12/2024, URL :https://archive.ph/fVNp6#selection

[18]. TIMBERT Aline, « Tourisme au Pérou, une reprise prometteuse après la pandémie de covid-19 », Actu Latino [En ligne], 11/06/2024, consulté le 28/11/2024, URL :https://www.actulatino.com/tourisme-au-perou

[19]. BLANC ANSARI Jordie, « Le lac Titicaca bolivien : analyse ethnographique pour penser le désordre environnemental au prisme des savoirs scientifiques et autochtones », Cahiers de géographie, Vol. 21, 2021, pp. 138-153.

[20]. DABÈNE Olivier & DOUAULT Frédéric, Atlas de l’Amérique latine - Polarisation, politique et crises, Paris, Autrement, 22/06/2022, 96 pages.

[21]. PASQUIER-DOUMER Laure, « Au Pérou, pauvreté et exclusion interdisent aux populations indigènes d’aspirer à mieux », The Conversation [En ligne], 15/01/2017, consulté le 2/12/2024, URL : https://theconversation.com/au-perou-pauvrete-et-exclusion

[22]. CHAPARRO Amanda & DELCAS Marie, « Au Pérou, derrière la crise politique, une explosion sociale aux racines profondes », Le Monde [En ligne], 3/03/2023, consulté le 2/12/2024, URL : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/03/au-perou-derriere-la-crise-politique

[23]. DABÈNE Olivier & DOUAULT Frédéric, Atlas de l’Amérique latine - Polarisation, politique et crises, Op.cit.

[24]. « "Voix de l'espoir" : les défenseurs du lac Titicaca », Mission 21, 10/10/2024, consulté le 8/12/2024, URL :  https://www.mission-21.org/fr/les-voix-de-lespoir-les-defenseurs-du-lac-titicaca/

[25]. GUILLERMIN-GOLET Sophie, « Bolivie-Pérou : un accord environnemental pour sauver le Lac Titicaca », Op. Cit.

[26]. MARKELOVA Katerina, « Titicaca : le lac sacré livre ses secrets », Le Courrier de l’UNESCO [En ligne], 2021, consulté le 7/12/2024, URL :https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000378030

[27]. « Hacia un Pacto azul para la cuenca binacional del Titicaca, Bolivia-Peru », Autoridad Binacional Autónoma del Sistema, 2022, La Paz. 

[28]. Enrichissement excessif de l’eau par des apports massifs de sels nutritifs (nitrates et phosphates) qui induisent la prolifération des plantes aquatiques.

[29]. BLANC ANSARI Jordie, « Le lac Titicaca bolivien : analyse ethnographique pour penser le désordre environnemental au prisme des savoirs scientifiques et autochtones », Cahiers de géographie, Vol. 21, 2021, pp. 138-153.

[30]. Site de la Banque mondiale, « Bolivia : World Bank Approves $20 Million Loan for Sustainable Management of Lake Titicaca », Banque mondiale, 12/2007. 

[31]. « Restructuring paper on a proposed project restructuring of lake titicaca local sustainable development project », Banque mondiale, 12/2007. 






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