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De la tragique disparition des sièges rembourrés du métro parisien

Une affaire qui nous concerne fondamentalement. Vaste sujet en effet que le confort de générations d'usagers qui, en prenant le métro à Paris, ont contracté tacitement avec la R.A.T.P. pour leur confier le confort de leurs fessiers et dossiers.

Or, dernièrement, on ne peut que se douloir en constatant combien les égards ne sont plus rendus comme auparavant dans les transports : de plus en plus, les sièges se durcissent à l’excès, se réduisent parfois – quand ils ne se raréfient pas, comme pour le cas du MF 19. Il n’y a plus de saisons : depuis les années 1990, le développement des sièges dits « anti-lacération » accroît ignominieusement la dureté de la vie quotidienne de millions de citoyens.

Aujourd’hui qu’ils règnent en maître sur (presque) tout le réseau, narrons avec une nostalgique amertume la tragédie de ce Grand-remplacement, de ce Grand-déclassement, de cette décadence généralisée : celle du confort dorso-fessier des citoyens français.

Exemple dans un MF67 (lignes 10 et 12)

Lorsque les premiers utilisateurs (ou plutôt visiteurs) découvrirent le métro parisien en juillet 1900, les premières rames en bois comportaient deux types de sièges selon la classe : en bois en seconde ; en cuir en première. Cette hiérarchie, reprise par les rames Sprague dès leur mise en service en 1908, existera dans le métro jusqu’à ce que celles-ci soient retirées de la circulation en 1983.

Fauteuils de 1ʳᵉ classe (en cuir capitonné s'il vous plaît). La mort du détail, etc.

Sièges en bois en 2d classe dans une Sprague 

À partir de 1952, l’arrivée quasi simultanée de deux nouveaux types de matériels roulants sur le réseau (le matériel articulé MA ; le premier métro pneumatique avec la rame prototype MP 51, puis la série des MP 55) rééquilibre la tendance. Désormais, exit le bois : les sièges de seconde classe seront également rembourrés et recouverts de skaï (un similicuir), si bien que le privilège de l’usager de première classe ne se limitera plus qu’à la couleur des sièges, et à la satisfaction bourgeoise de n’être pas mélangé à la populeuse populace. Ensuite, les nouveaux matériels se succèdent qui reprennent ces standards de qualité pour la 2d classe : MP 59, MF 67 (aujourd’hui sur les lignes 3, 3 bis, 10, 12) ; MP 73 (6) ; MF 77 (7, 8, 13).

Banquettes en skaï (et porte-bagages !) dans une MA51 sur la 10, 1975

Intérieur d'une MF 67 de la ligne 5 (en service jusqu'en 2013)

Le tournant

29 décembre 1992. Ce jour est à marquer d’une pierre noire. Non pas tant en raison du sondage BVA/Paris Match qui voit baisser la cote de popularité de François Mitterrand à 32 %, mais plutôt car c’est ce jour que fut présentée la nouvelle rame MF 88, destiné à circuler sur la ligne 7 bis. Présenté comme « le métro de l’an 2000 » (NDLR, ce fut en réalité un fiasco complet), cette première rame à intercirculations fut livrée, dès son origine, avec des sièges anti-lacération, lesquels existent d’ailleurs encore aujourd’hui en l'état.

Intérieur d'une rame MF 88

Une MF 88 ayant reçu les sièges des MP 59 de la 11... je ne suis pas convaincu

Ces sièges recouverts d’un tissu « anti-lacération », sont en quelque sorte le début de la fin, le premier coup d’estoc porté au confort du voyageur pour le bénéfice de la baisse des coûts d’entretien. Et encore, bien que cette version conservât un très mince rembourrage des sièges, le tissu anti-lacération était trop épais, et trop tendu, pour que le confort de ce rembourrage se fît véritablement sentir.

Par ailleurs, les « sièges anti-lacération de première génération » se retrouvèrent en même temps dans plusieurs matériels roulants :

  • La génération rénovée du MP 59 entre 1990 et 1992 ; 
  • Les rames TFS de la ligne T1 du tramway, inaugurée à l’été 1992 ; 
  • Les MP 89, inaugurées sur la ligne 1 en mars 1997 ; 
  • La génération rénovée du MF 67 pour les lignes 3 bis et 9 (rénovation entre 1995 et 1998) ; 
  • Les MP 05, inaugurées sur la ligne 1 en 2010 ; 
  • Dans une moindre mesure, mais soyons magnanimes, les MP 14, inaugurées en 2020.

MP 59 sur la ligne 11 (jusqu'en 2024)

MF 67 sur la 3 bis (comme sur la 9 jusqu'en 2016)

MP 89, sur les lignes 4 (depuis 1997) et 6 (depuis 2023)

MP 05, sur la ligne 1 depuis 2010

Descendant d’un degré l’escalier du confort, tout en plastronnant le contraire, l’année 1996 fut à son tour une année noire, à travers la rénovation des MP 73. Un nouveau type de siège y fut installé, dont le nom germanophone n’annonçait rien d’agréable, les « assises Kiel » : les sièges, même plus rembourrés du tout, n’étaient plus constitués que d’une apocalyptique couche de tissu posée à même du plastique dur.

« assises Kiel » dans une MP 73 de la ligne 6

Les concepteurs des sièges du métro firent encore un pas supplémentaire dans la mauvaise direction en 2001. Cette année-là fut conçu un nouveau type de matériel roulant, le MF 01, dont le type d’assise abandonnait également le rembourrage ; un simple revêtement en tissu coloré recouvre un plastic dur, et seul l'élargissement de l’assise sert de lot de consolation pour le voyageur soucieux de dorloter ses lombaires.

MF 01, ici affecté à la ligne 2 

Si ce matériel n’est entré en service (en chassant les MF 67 avec banquettes en skaï) qu’à partir de 2008 sur la ligne 2, de 2011 sur la ligne 5, et de 2013 sur la ligne 9 – où les MF 67 avaient été déjà rénovées –, l’année 2001 vit néanmoins les rames MF 67 des lignes 10 et 12 connaître une rénovation importante avec l’introduction des atroces « assises Kiel », lesquelles se répandirent ensuite sur la ligne 3, entre 2003 et 2006.

Restaient les MF 77 des lignes 7, 8 et 13 : leurs banquettes de skaï bleues ont été retirées de la ligne 13 entre 2007 et 2011 (là aussi, à la faveur d’un élargissement), puis de la ligne 7 entre 2018 et 2024.

Comparatif après/avant sur la ligne 13 (notons qu'on passe de 2+2 à 2+1)

Et la ligne 8 alors ? Eh bien, au moment où ces lignes sont écrites, l’irréductible ligne 8 résiste encore et toujours à la terrible marche d’Île-de-France Mobilités : une dizaine de rames ont été rénovées depuis 2023, mais une bonne partie du matériel roulant conserve toujours ses banquettes en skaï bleues. Parisiennes, parisiens, vite, profitez-en !

La ligne 8, dernier vestige d'une époque révolue

Pour conclure cet article bien comme il faut, une ouverture. Il n’y a aucune science dans le sujet du remplacement des sièges ou banquettes en skaï par des sièges anti-lacération de première génération, ou des assises Kiel dures comme la pierre. Les opérateurs osent prétexter un meilleur confort, mais l’on devine aisément que c’est le coût d’entretien amoindri qui a motivé cette dégradation patente du confort de l’usager.

Dans le RER et le Transilien, le même processus eut lieu, quoique plus tardivement (les sièges rembourrés en skaï y ont disparu au milieu des années 2010, soit à la faveur de rénovations, soit par l’introduction de matériels roulants nouveaux), et les banquettes en skaï des « petit-gris » se vendent désormais à l’encan.

Z8800 sur le RER C, avant leur rénovation (entre 2010 et 2017)

Z8800 après rénovation : flambant neuf mais tout dur

Affiche pour une exposition de décembre 2012

Un motif d’espoir dans le confort des usagers franciliens existe toutefois : inversant la tendance à la baisse, les rames Regio2N introduites sur les lignes D, R (2018) et N (2021) ont des sièges rembourrés plutôt confortables, et dont le dossier est même généreusement relevé.

Les sièges admirablement confortables des Regio2N de la D, la R et la N

En attendant les rames RER NG (en recul de confort par rapport aux Regio2N) et autres MF 19 ou MR6V du Grand Paris Express, ménageons nos fondements, et n’oublions pas de laisser nos places assises, qu’elles soient en skaï ou dures comme de l’obsidienne, aux personnes qui en ont besoin !

Quant à moi, je n'ai plus qu'à me trimballer avec un coussinet…

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